L'INSTRUCTION RELIGIEUSE

 

Les musulmans aussi goûteront à l'instruction religieuse

Le tribunal administratif de Berlin vient d'accorder à la Fédération islamique, qui rassemble une dizaine d'associations, le statut de communauté religieuse. Désormais, celle-ci peut donc réclamer l'instauration de cours de religion musulmane dans les écoles de la capitale.

SÜDDEUTSCHE ZEITUNG

Munich Les maths, c'est bien, mais le cours d'éthique, c'est vraiment barbant", se plaint Fatme, 10 ans, musulmane. Fatme fréquente une école islamique à Berlin. Les connaissances qu'elle peut avoir sur sa religion ne lui viennent pas de l'école : il n'existe jusqu'à présent aucun cours d'instruction religieuse sur l'islam dans les établissements scolaires allemands, qu'ils soient publics ou privés. Pourtant, l'article 4 de la Loi fondamentale garantit à chacun le droit d'exercer librement sa religion, un droit qui comprend celui de recevoir des cours sur sa religion*. Ce qui vaut pour les enfants juifs ou orthodoxes a jusqu'à présent été refusé aux enfants musulmans. "En principe, toute communauté religieuse y a droit", explique Franz Koller, représentant du ministère des Affaires culturelles du Land de Hesse [l'éducation est du ressort des Länder]. Mais, pour cela, la communauté religieuse en question doit avoir un responsable et un porte-parole, qui servent d'interlocuteurs aux autorités. Or les musulmans sont organisés en une multitude d'associations qui ne se reconnaissent pas mutuellement.
Le tribunal administratif de Berlin vient de reconnaître la Fédération islamique, organisation qui fédère 9 associations berlinoises et 16 comités de soutien, comme une "communauté religieuse" [ce qui lui confère le droit de réclamer des cours]. Mais le problème subsiste : dans toute l'Allemagne, les autorités scolaires n'ont aucun interlocuteur, aucune institution qui, à l'instar des Eglises chrétiennes, définisse le contenu religieux pour l'enseignement scolaire. Les musulmans sont organisés en groupes multiples, partiellement rivaux, voire mutuellement hostiles. Outre la Fédération islamique à Berlin, il existe, entre autres, le Congrès islamique mondial, la Communauté islamique, le Conseil central des musulmans en Allemagne et l'Union des associations culturelles turco-islamiques en Europe. Près de 3 millions de musulmans vivent en Allemagne, et les trois quarts sont turcs. En Bavière, une solution de secours a été mise en place : les enfants turcs peuvent suivre jusqu'en quatrième, au lieu des cours d'éthique, des cours d'islam dispensés par des enseignants originaires de Turquie. Mais, pour l'instant, aucun projet n'inclut des musulmans d'autres origines.
Face à cette situation, beaucoup de parents envoient leurs enfants, après les cours, dans des écoles coraniques ou dans les instituts musulmans des mosquées, qui existent désormais dans pratiquement toutes les villes allemandes. Mais "personne ne peut contrôler ce qu'on y enseigne", estime Mahmud Saraj**, lecteur à l'Institut de turcologie de l'université de Munich. Les imams des mosquées ne sont pas professeurs. Ils n'ont de comptes à rendre à personne. Leur qualification varie considérablement, de même que leur interprétation du Coran. Nombre d'imams "qui se sont formés par eux-mêmes", estime Saraj, "renvoient une image néfaste de l'islam" : beaucoup profitent de leur fonction pour diffuser leurs idées politiques et prêchent souvent l'hostilité à l'égard des Allemands, en tenant des propos du genre : "Celui qui mange de la viande de porc est lui-même un porc." Les imams intégristes en Allemagne sont une minorité, mais aucun d'entre eux n'a à rendre de comptes ou à se justifier devant une quelconque autorité allemande.
Un cours de religion sur l'islam dans les écoles, contrôlé par l'Etat, permettrait de freiner relativement aisément les intégristes évoluant parmi les musulmans résidant en Allemagne, estime Franz Koller. Les enseignants devraient toutefois maîtriser suffisamment bien l'allemand et être formés autant sur le plan pédagogique que religieux. Il faudrait concevoir de nouveaux programmes scolaires et de nouveaux manuels. Et, "à terme, instaurer une chaire de théologie pour l'islam dans une université allemande".

Karin Gothe

Courrier International
19/11/1998, Numero 420