DES ISLAMS POLITIQUES

 

Pas d'"internationale islamiste", mais des islams politiques

Par ignorance ou par idéologie, la tentation est grande de ne voir dans l'islamisme qu'un seul et même phénomène protéiforme, auquel d'aucuns accolent le terme d'"internationale". Cette vision obscurcit la compréhension des enjeux et des conflits internes à l'islam politique. Si ce dernier était réellement un, comment expliquer les guerres civiles entre factions afghanes depuis douze ans ? Comment expliquer que l'Arabie saoudite, plus fidèle alliée des Etats-Unis dans le monde arabe, soutient partout de nombreux groupements prônant la charia (loi islamique) ? Reste que les islams politiques gravitent autour d'une conception commune : plus qu'une "croyance", un mode de vie et de pensée qui comble tous les besoins sociaux, politiques et culturels de l'individu. Largement minoritaire dans l'oummah- la "nation musulmane" -, le monde arabe reste la matrice de toutes les idéologies politiques islamiques.

L'islam politique moderne a d'abord resurgi victorieusement en Iran, pays à très large majorité chiite. Mais les grands mouvements islamistes actuels, du Maroc à l'Indonésie, sont d'essence sunnite (plus de 80 % de la population musulmane dans le monde).

ORGANISATIONS CHIITES

La plupart sont des regroupements de défense des minorités chiites (Pakistan, Afghanistan). L'Iran khomeyniste (1979) a vite renoncé à exporter sa révolution. Israël, l'Arabie saoudite et l'Egypte ont plusieurs fois accusé Téhéran de soutenir chez eux des groupes, sans apporter de preuves. Le seul pays hors Iran où subsiste le chiisme politique est le Liban, avec le mouvement Amal et surtout le Hezbollah, qui est autant un parti politique national qu'une milice armée contre Israël.

MOUVEMENTS SUNNITES

- Le wahhabisme a été adopté comme doctrine par la famille Saoud, qui, grâce aux Britanniques, règne depuis 1932 sur l'Arabie, et donc les Lieux saints, source suprême de légitimité.
Le royaume est le premier financier au monde de mosquées, d'écoles coraniques, d'organisations politiques musulmanes, dépensant 10 milliards de dollars (11 milliards d'euros) par an pour la propagation de l'islam. L'Arabie saoudite veut contrôler les mouvements islamiques et préserver son hégémonie sur la Mecque et Médine. Washington a favorisé cette politique. Depuis vingt ans, la "main" du wahhabisme a été décelée derrière une foultitude de mouvements : le Front islamique du salut (FIS) en Algérie, que Riyad a soutenu, avec à l'origine la bienveillance de l'Etat algérien ; les combattants "arabes" dans les rangs bosniaques ou kosovars durant les guerres balkaniques, avec l'aval américain. Les Saoudiens ont amplement financé les moudjahidins afghans puis les talibans, ou les Pakistanais du Harakat ul-Moudjahidins au Cachemire. Ils ont étendu leur influence dans les Républiques ex-soviétiques d'Asie centrale et du Caucase. On soupçonne aussi Riyad de financer les fomenteurs de pogroms antichrétiens au Nigeria et en Indonésie, ou la violence des sunnites pakistanais contre les chiites. L'ampleur invérifiée de ces soutiens permet toutes les "interprétations". Ainsi Moscou dénonçait la présence de "400 wahhabites" en Tchétchénie. Depuis le 11 septembre, ceux-ci sont devenus des partisans d'Oussama Ben Laden...

- Les Frères musulmans. Créée en Egypte par Hassan El Bana, en 1928, la "Confrérie" est la plus ancienne formation islamiste moderne. Son fondateur prône un anticolonialisme virulent mêlé à une opposition résolue au nationalisme. "Nous voulons l'individu musulman, écrit El Bana, puis la famille musulmane, puis le peuple, puis le gouvernement, et enfin la nation musulmane." Le mouvement veut accéder au pouvoir par l'éducation du peuple. Plus ou moins influents dans le monde arabe, l'opposition des Frères musulmans au communisme et aux variantes du panarabisme leur a valu d'être régulièrement "instrumentalisés" par les régimes arabes. Réprimés lorsqu'ils sont craints (Hafez El Assad en fera massacrer 10 000 à 20 000 en 1982), ils sont parfois "utilisés" pour les besoins d'un pouvoir : le président égyptien Moubarak a laissé entrer 17 "frères" au Parlement en novembre 2000, et la monarchie à Amman tire ou lâche leur bride, selon les circonstances. Un parti de ce type, puissant, existe au Pakistan, le Jamiat-i-islami. Les Frères musulmans entretiennent des liens très lâches d'un pays à l'autre.

- Les groupements apocalyptiques. Tout en ayant des activités socioculturelles légales ou clandestines, elles prônent le djihad (guerre sainte). Embryonnaires ou déjà constitués dans la quasi-totalité du monde sunnite, les plus connus sont, en Egypte, le Djihad islamique (qui a revendiqué l'assassinat d'Anouar El Sadate en 1981) et la Gamaa islamiya, auteur des attentats commis en 1993 au World Trade Center de New York et sans doute à Louxor en 1997. En Palestine, le Djihad et le Hamas centrent leurs actes de terreur contre Israël et l'occupation des territoires. Ces groupes sont issus de scissions des Frères musulmans. Les mouvements sunnites de ce type au Pakistan sont le Jamaat ouléma-i-islami, "parrain des talibans", ou encore le Lashkar-i-Taïba.

- Al Qaida (la base).Oussama Ben Laden paraît être le premier à avoir constitué un réseau propre dans de nombreux pays, jusqu'en Occident. Après "la base", créée en 1988, il a fédéré avec lui, en 1998, quatre organisations (une pakistanaise, une bengalie et deux égyptiennes) dans un Front islamique international pour le djihad contre les juifs et les croisés. Son objectif prioritaire est la conquête des Lieux saints.

Sylvain Cypel

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU MONDE DU 07.10.01

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