TEHERAN ET LES ASSASINATS EN TURQUIE

 

Des assassinats qui portent la signature de Téhéran

Radikal, Istanbul

En ce qui concerne les attentats qui ont coûté la vie à Ugur Mumcu [1993] et à Ahmet Taner Kislali [1999]*, toutes les pistes mènent vers l'Iran. Il se peut qu'un Etat ne soit pas directement responsable des assassinats commis par ses citoyens ou par ses groupes politiques contre les citoyens d'un autre Etat. Des individus en Turquie, par exemple, peuvent aller se battre en Tchétchénie, sans qu'on le sache, jusqu'à ce qu'ils se fassent arrêter ou tuer là-bas. On peut aussi comprendre, même si on ne peut pas l'accepter, que les militants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), fuyant les opérations de l'armée turque en Irak, se réfugient dans les montagnes de l'Iran. Il se peut aussi que des agents d'un pays tuent les opposants à leur régime dans un autre pays.
Mais ce qui s'est passé chez nous est encore plus grave. Des agents iraniens ont tué des Turcs à l'intérieur de la Turquie à cause de leur attachement au système laïque ! Et ces assassinats n'ont même pas été commis parce que les victimes auraient cherché à nuire au régime théocratique en vigueur en Iran - ce qui, d'ailleurs, n'aurait nullement donné à l'Iran le droit de les éliminer. Si l'Iran a formé des groupes terroristes en Turquie ou s'il les a entraînés, approvisionnés, et s'il a planifié avec eux les attentats en question, il est clair qu'il a violé le droit international. Il ne suffira donc pas de juger les agents pour en finir avec ce problème.
Les Turcs sont remplis d'indignation contre l'Iran. Dès que les preuves seront établies avec certitude, l'opinion publique turque exercera une forte pression sur le gouvernement, avant même le jugement des tribunaux, pour que celui-ci réagisse contre Téhéran. Les attentats ont coûté très cher à la Turquie. Mais il est clair que des mesures et des sanctions qui seraient prises sur le plan de la politique extérieure auraient des conséquences différentes sur le plan national. Vous ne pouvez envisager une action contre un autre Etat sans pâtir vous-même des conséquences. D'autant plus qu'il s'agit d'un régime iranien despotique, issu d'une révolution islamique. Téhéran n'admettra jamais sa responsabilité.
Il est également possible de s'interroger sur le bien-fondé d'une action contre le gouvernement iranien pour des assassinats commis avant la récente victoire des réformateurs. On peut penser que toute action à l'encontre de l'Iran à l'heure actuelle servirait les conservateurs, en leur donnant la possibilité de créer un ennemi extérieur capable de catalyser l'opinion publique.
Pourtant, les relations internationales sont fondées sur le principe de la pérennité des Etats. D'ailleurs, il serait difficile de satisfaire l'opinion publique turque avec de telles considérations. Dans ces conditions, il faut chercher des moyens d'agir sans affaiblir l'aile réformatrice du pouvoir iranien et, si possible, en contribuant à son renforcement...

Courrier International
22/06/2000, Numero 503