VIANDE HALAL

 

La viande halal divise l'Allemagne

"Désintégration". Le titre, imprimé dans la pure tradition gothique en "une" de la Frankfurter Allgemeine Zeitung claque comme une provocation. L'auteur de l'article, Georg Paul Hefty, y dénonce, mercredi 16 janvier, la décision de justice rendue par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe autorisant les bouchers musulmans à égorger leurs animaux sans anesthésie préalable, selon les principes du Coran. "Quelle forme d'intégration est privilégiée, si ce n'est pas à l'immigré de s'adapter aux lois et aux coutumes du pays d'accueil ?", s'inquiète l'éditorialiste.

L'Allemagne, en plein débat sur les nouvelles lois d'immigration du gouvernement, s'interroge depuis des mois sur la notion d'intégration et l'obligation pour les étrangers d'accepter une "culture dominante allemande", selon l'expression lancée par le chef de l'opposition chrétienne démocrate au Bundestag. La polémique monte d'un cran lorsque l'ancien ministre de l'éducation de Helmut Kohl, Jürgen Rüttgers, fustige le jugement sur la viande halal qu'il estime "incompréhensible pour des gens normaux".

3,2 millions de musulmans vivent outre-Rhin - 3,9 % de la population - turcs en grande majorité. Le port du foulard par les jeunes filles n'a pas provoqué d'" affaire" comme en France. Mais l'islam, troisième religion du pays, y est toléré plus qu'intégré. Dans un arrêt de 1995, le tribunal administratif fédéral avait supprimé pour les musulmans la dérogation qui permet d'égorger un animal sans anesthésie pour raisons religieuses.

Depuis, la viande halal était importée de l'étranger. Le jugement avait été incompris par la communauté musulmane puisque les boucheries casher pouvaient continuer d'égorger les animaux selon la tradition judaïque. "Personne en Allemagne n'a osé leur reprocher quoi que ce soit depuis 1945, admet Peter Heine, spécialiste de l'islam et professeur à l'université de Humboldt de Berlin, contacté par Le Monde. Leur nombre était, de toute manière, considéré par les autorités comme quantité négligeable [la communauté juive en Allemagne est estimée à 100 000 personnes]. C'est au moment où la population musulmane a augmenté que le problème est apparu au-devant de la scène."

A gauche, la ministre verte de la consommation et de l'agriculture, Renater Künast, a salué la décision de la Cour de Karlsruhe comme "une contribution à la paix pour notre société multiculturelle". Satisfaction également du Conseil central des musulmans d'Allemagne qui applaudit la mise "à égalité avec les autres Eglises". Pour le professeur Heine, "ce verdict est un pas vers un islam européen".

Nicolas Bourcier

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU MONDE DU 19.01.02

RETOUR au dossier ISLAM