LA
FÊTE DU SACRIFICE
LE MONDE 22.02.02
L'Aïd célébrée entre misère, douleur et liberté
Le monde musulman célèbre, vendredi 23 février, l'Aïd-el-Kébir ou Aïd-el-Adha (fête du Sacrifice) dans la misère, la douleur ou parfois la liberté. A l'occasion de cette fête, l'une des plus importantes de l'islam, les musulmans signifient leur totale soumission à Dieu, en commémorant le sacrifice d'Abraham (Ibrahim) par l'égorgement d'un mouton.
"Dieu est le plus grand, Dieu est le plus grand, c'est le plus beau jour de ma vie", exulte l'un des deux millions de musulmans qui ont afflué à La Mecque durant cette semaine de l'Aïd. Le pèlerinage vers le lieu saint d'Arabie saoudite, un des cinq piliers de l'islam, a été fixé cette année au 21 février. Des milliers de policiers et militaires ont été postés aux alentours de la Grande Mosquée, alors qu'à l'intérieur des caméras ont été placées pour surveiller la foule. Les pèlerins ont tué près d'un million de moutons, de vaches et de chameaux. Des dizaines d'ambulances et d'équipes médicales ont été déployées sur place, pour parer à tout débordement.
Un peu plus au nord, dans la bande de Gaza, l'humeur n'est pas vraiment à la fête. Après une semaine de raids israéliens, les esprits sont plutôt tournés vers les dizaines de morts. "Il n'y a pas de fête pour ceux qui ont perdu un être cher ni d'autre goût que celui des larmes !", s'écrie une mère qui vient de perdre son fils de 18 ans. Après une attaque palestinienne dans laquelle six soldats israéliens ont été tués en Cisjordanie, l'armée israélienne a lancé des représailles massives, tuant vingt-quatre personnes. L'armée a toutefois annoncé l'allègement de son bouclage des territoires palestiniens à l'occasion de l'Aïd.
En Asie centrale comme en Afrique noire, l'Aïd est aussi marquée par une conjoncture économique désastreuse. En Afghanistan, ravagé par vingt-trois ans de guerre, la fête est souvent célébrée dans la misère. Au marché aux bestiaux de Kaboul, la capitale, les retardataires marchandent l'achat d'un mouton dans un froid mordant. Seuls ceux qui ont profité de la guerre, les marchands, les fonctionnaires les mieux payés, ou ceux - chauffeurs, interprètes, propriétaires - qui ont la chance de travailler avec l'ONU ou des organisations internationales, peuvent aujourd'hui se permettre une telle dépense. Pour la majorité des habitants, le seul moyen d'obtenir un morceau de viande est d'attendre devant les maisons des plus riches, qui, selon la tradition, doivent en distribuer une partie aux pauvres. La chute du cours du mouton provoquée par la fuite des combattants arabes d'Al-Qaida ne paraît pas profiter à la majorité.
Malgré les étals alléchants des rues de Dakar, les consommateurs ont du mal à racler le fond de leur porte-monnaie. Les boutiques affichent un peu partout des "soldes spéciaux Tabaski", nom de l'Aïd en Afrique de l'Ouest. L'achat de moutons demeure le souci principal de la plupart des chefs de famille. "Chaque année, c'est pareil : les prix flambent, mais on est obligé d'acheter, puisqu'on ne peut pas manger la viande crue ou les grains de riz sec", proteste une cliente du marché. La Tabaski implique beaucoup d'achats et revient souvent cher pour une population qui vit à 65 % sous le seuil de pauvreté.
Mais pour certains l'Aïd sera, avant tout, placé sous le signe de la liberté. Ainsi, au Maroc, le roi Mohammed VI a grâcié, vendredi, 854 détenus pour l'occasion. Le jeune souverain, qui porte aussi le titre de Commandeur des croyants, a réduit la condamnation criminelle à perpétuité frappant deux prisonniers. Près de 200 prisonniers talibans ont également été libérés le 22 février, après plusieurs mois passés dans une prison surpeuplée du nord de l'Afghanistan. Les prisonniers libérés ont été choisis parmi les plus vieux, les plus jeunes et les malades.
Côté non musulman, le président russe Vladimir Poutine a adressé ses vux "de paix, de bonheur et de bonne santé" aux 20 millions de musulmans de la Russie, qui compte 144 millions d'habitants. Ils sont en général originaires du Caucase du nord (Tchétchénie, Daguestan, Ingouchie entre autres), mais également, au centre du pays, des Républiques du Tatarstan et du Bachkortostan. En France, c'est le ministre de l'intérieur Daniel Vaillant qui a exprimé "aux musulmans de France [sa] sympathie et [ses] vux très chaleureux de bonheur et de prospérité", alors que la communauté musulmane de Marseille, l'une des plus grandes d'Europe, s'apprêtait à fêter l'Aïd avec le sacrifice de près de 3 000 moutons - en attendant la construction d'une mosquée, objet de polémique, d'ici l'année prochaine.
Avec AFP et Reuters