LE
PARTI DE LA NOUVELLE TURQUIE
Ismail Cem élu à la tête du Parti de la nouvelle Turquie
ANKARA (Reuters) - L'ancien ministre turc des Affaires étrangères Ismail Cem a été élu à la tête du "Parti de la nouvelle Turquie", formation de centre-gauche qui se présentera aux élections législatives anticipées avec un programme réformiste.
Cem a créé ce nouveau parti avec des dizaines d'autres députés qui ont quitté au début du mois les rangs du Parti de la gauche démocratique (DSP) du Premier ministre Bulent Ecevit.
La coalition gouvernementale est divisée sur les réformes demandées par Bruxelles pour obtenir l'adhésion à l'Union européenne et doit faire face à une grave crise économique.
Le nouveau parti compte 61 député. Outre Cem, qui est crédité d'avoir amélioré les liens avec Bruxelles et le vieux rival grec, il comprend dans ses rangs l'ancien conseiller d'Ecevit Husamettin Ozkan et le ministre de l'Economie Kemal Dervis, architecte du pacte conclu avec le FMI pour relancer l'économie.
"La Nouvelle Turquie, ce n'est pas seulement un nom, c'est une aspiration, un but et pour tout le monde, un idéal", a déclaré Istemihan Talay, l'ancien ministre DSP de la Culture devenu secrétaire général de la nouvelle formation.
Dans le même temps, le vice-président du groupe du Parti de l'Action nationale (MHP) à l'Assemblée Mehmet Sandir a annoncé que sa formation, la mieux représentée au parlement, allait demander la tenue d'une session extraordinaire de la chambre dès le 29 juillet pour fixer la date des élections anticipées.
Initialement, le MHP souhaitait qu'elle ait lieu le 1er septembre afin de demander la tenue d'élections le 3 novembre.
Sous la pression du MHP et de Mère patrie (AMAP), ses deux partenaires de coalition, Ecevit avait d'abord accepté la semaine dernière d'organiser des élections législatives le 3 novembre, mais il s'est rétracté samedi, jugeant un scrutin "dangereux" et estimant que son gouvernement devait rester en place l'an prochain.
Par ailleurs, la séance extraordinaire du parlement turc convoquée ce lundi par deux partis d'opposition a comme prévu tourné court, le quorum (184 députés sur 550) n'étant pas atteint. L'absence des députés de la coalition gouvernementale était annoncée.
La chambre devrait toutefois reprendre ses travaux avant la date prévue, le 1er septembre, le MHP et l'AMAP ayant déclaré qu'ils souhaitaient convoquer le parlement en séance extraordinaire le 29 juillet.
lundi 22 juillet 2002, 14h31
LE MONDE | 23.07.02 | 12h12
En tête dans les sondages, l'islamiste turc modéré Recep Tayyip Erdogan risque d'être privé d'élections
La commission électorale reproche à l'ancien maire d'Istanbul des propos vieux de cinq ans
Istanbul de notre envoyé spécial
"Les minarets sont nos baïonnettes, les coupoles nos casques et les mosquées nos casernes." Pour avoir prononcé en public à Siirt (Sud-Est), le 6 décembre 1997, ces vers empruntés à Ziya Gökalp, un des fondateurs du nationalisme turc, Recep Tayyip Erdogan a connu la prison et la déchéance de son fauteuil de maire d'Istanbul. Cinq ans plus tard et toujours en raison de ses propos, la figure charismatique de l'islamisme modéré à "la turque" vient d'être interdite par la commission électorale de se présenter à la tête de son Parti de la justice et du développement (AKP) aux prochaines élections législatives anticipées, prévues pour le 3 novembre.
Cette décision complique encore un peu plus la donne électorale. Depuis deux semaines, le pays est en proie à une profonde crise politique après la défection de 7 ministres et de 63 députés du Parti de la gauche démocratique (DSP, sociaux-démocrates nationalistes) du premier ministre Bülent Ecevit. D'après le dernier sondage publié, le 18 juillet, par le quotidien Radikal, l'AKP arriverait largement en tête avec près de 20 % des intentions de vote. Aucun des autres partis ne dépasserait la barre des 10 %. Le DSP, quant à lui, tomberait à 2 %.
Les députés de l'AKP ont donc annoncé qu'ils mettraient tout en uvre pour défendre leur chef de file. Ils sont allés jusqu'à unir leurs voix aux élus du Parti de la juste voie (DYP, opposition de centre droit) de Tansu Ciller pour obtenir la convocation du Parlement, lundi 22 juillet, afin d'évoquer les élections anticipées. "Au moment où des réformes pour abolir la peine de mort [en Turquie] sont en préparation, personne ne devrait être en mesure de punir un politicien respecté uniquement à cause de la lecture d'un poème", souligne Salih Kapusuz, député de l' AKP.
Dans une Turquie en proie à une crise identitaire, Recep Tayyip Erdogan a su rassembler les couches populaires, le vote anatolien et une importante partie des électeurs lassés - qu'ils soient de droite ou de gauche - d'une classe politique au pouvoir depuis trop longtemps. Avec un discours social efficace sous couvert d'un islamisme aujourd'hui modéré, il capte le vote des ouvriers et des paysans, rassure les tenants de la tradition. "Une sorte de social-démocratie islamiste,estime Esra Kuyas, maître assistante en sciences politiques à l'université de Galatasaray et doctorante spécialiste du mouvement islamiste turc. C'est le paradoxe de ce pays, un mélange de conservatisme sur les questions d'ordre social et de social-démocratie quant à l'organisation politique et économique de la société."
"PROFONDÉMENT MODERNES"
"L'AKP est un parti libéral,explique Saban Sari, ami de trente ans de Recep Tayyip Erdogan et responsable local du mouvement dans le quartier populaire de Kasimpasa, à Istanbul. Nous sommes profondément modernes. Il y a même des filles en minijupe chez nous !" Transfuge du Parti de la Mère patrie (ANAP), il brocarde volontiers ces islamistes adeptes de la charia (loi islamique), qui, d'après divers spécialistes, représentent moins de 5 % du corps électoral. Selon lui, "la république et la démocratie sont des valeurs indispensables à la Turquie. Il y a eu dans le passé des abus commis par certains islamistes. Mais nous avons appris notre leçon et ne recommencerons plus ces erreurs. Le radicalisme ne marche pas dans ce pays".
Ce changement d'attitude, marqué par un refus public de soutenir les franges les plus extrêmes de l'islamisme, est en grande partie dû à la propre évolution du leader de l'AKP. Soupçonné un temps de vouloir empêcher les femmes d'entrer en politique, ce quadragénaire d'origine modeste n'a eu de cesse depuis la création de son parti, le 14 août 2001, de rappeler qu'il n'était pas "islamiste".
Libéré de la figure tutélaire de l'islamiste Necmettin Erbakan, interdit en 1997 de politique jusqu'en 2003 pour avoir "provoqué le peuple avec des propos contraires à la laïcité", M. Erdogan a compris l'avantage qu'il pouvait tirer en ratissant large tout en adaptant son discours à l'aune européenne. Un positionnement aujourd'hui conforté par le sondage de Radikal pour qui près de 62 % des personnes interrogées seraient en faveur d'une entrée de la Turquie dans l'Union européenne (UE). "Il y a cinq ans, le principal clivage en Turquie opposait les laïcs aux musulmans, analyse Esra Kuyas. Aujourd'hui, c'est le camp des Européens contre ceux qui refusent l'intégration. Pour les prochaines élections, une alliance de l'AKP avec le Parti de la nouvelle Turquie, le tout nouveau parti pro-européen de l'ancien ministre des affaires étrangères, Ismaïl Cem, n'est donc pas à exclure."
Aux yeux de nombreux électeurs, Recep Tayyip Erdogan fait figure d'un politicien "propre", auréolé de son passage à la mairie d'Istanbul. "Même si les islamistes n'auront jamais la majorité en Turquie, ils possèdent une force d'attraction indéniable basée sur un réseau de militants structuré et faisant appel à toutes les couches de la société, souligne encore Esra Kuyas. Si la candidature de M. Erdogan aux prochaines élections est empêchée, le numéro deux du parti, Abdullah Gül, sera en mesure de prendre le relais en attendant le retour du leader incontesté." Une perspective qui a le don d'inquiéter Bülent Ecevit. Faisant allusion, dimanche, à la montée de l'AKP, le premier ministre n'a pas hésité à déclarer que "si ces affirmations se réalisent, la Turquie pourrait être confrontée à de très graves problèmes de régime".
Nicolas Bourcier
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