CODE CIVIL TURC A 80 ANS
Le ministre Christoph Blocher s'exprime ce mercredi à l'université d'Ankara à l'occasion des 80 ans de l'entrée en vigueur du code civil turc, rédigé sur le modèle du code civil suisse de 1912.
L'historien Hans-Lukas Kieser, spécialiste de la Turquie, évoque cette conjugaison de la perception islamique du droit et de la législation occidentale.
Le 4 octobre 1926 en Turquie entre en vigueur un code civil et un code
des obligations directement inspirés du modèle helvétique.
Peu après l'abolition du califat (1924), c'est la charia coranique qui
disparaît, alors qu'elle était restée jusque là l'un des piliers centraux de
la société.
Un événement qui a eu des répercussions importantes sur la vie sociale
turque comme sur les relations du pays avec le monde islamique, constate
Hans-Lukas Kieser, privat-docent d'histoire à l'université de Zurich et
président de la fondation «Forschungsstelle Schweiz-Türkei».
Hans-Lukas Kieser: Une raison importante réside dans le fait qu'à
l'époque, un nouvel Etat était en train de naître grâce à une jeune élite,
dont une partie avait fait ses études en Suisse.
En outre, le Code civil suisse passait pour le plus moderne de l'époque,
formulé avec précision, concision, et de façon compréhensible pour chacun.
H.-L.K.: Des changements énormes. Car le droit de la famille est, dans une certaine mesure, le cœur de la vie sociale en Turquie. Par ailleurs, cela a également signifié la suppression complète de la tradition de la charia.
H.-L.K.: Évidemment. Selon le droit islamique traditionnel, la femme est fortement désavantagée pour les questions de succession ou de séparation, et cela a été changé d'un coup, en tout cas dans certaines couches de la population. Cela dans la mesure où cette 'révolution juridique' s'est concrétisée surtout dans les villes, moins dans les campagnes et en particulier à l'est du pays.
H.-L.K.: Le problème majeur est que le code civil a été imposé par le
haut, sans la moindre base démocratique. Il y a donc eu d'un côté une
résistance islamique traditionaliste, mais aussi une opposition des
mouvances libérales à l'encontre de cette attitude très autoritaire de
l'Etat.
Même si le code civil a été largement accepté par les élites, son réel
ancrage dans la société turque impliquait du temps. Ce n'est qu'au cours de
ces dernières années qu'on a pu constater une pénétration profonde.
H.-L.K.: Bien sûr. L'introduction du code civil et la suppression de la charia ont suscité une grande résistance chez un certain nombre d'intellectuels, en particulier les philosophes de l'Islam, les savants religieux. Pour eux, tout cela signifiait le rejet de l'enseignement islamique.
H.-L.K.: Non. On doit d'ailleurs souligner à ce propos à quel point cette 'révolution juridique' a été profonde, dans la mesure où ses acquis sont encore là. La révision turque s'est faite à l'image de celle qui a eu lieu en Suisse. Même les décisions et les commentaires du Tribunal fédéral suisse sont traduits.
H.-L.K.: Je ne sais pas. Mais la potentialité d'améliorer la situation
existe, grâce à ce lien puissant, qui pourrait avoir la force de résoudre
avec succès les problèmes les plus difficiles, même s'ils sont en relation
avec une relecture de l'histoire turque.
Interview swissinfo: Gabriele Ochsenbein et Jean-Michel Berthoud
(Traduction swissinfo)
Le ministre Christoph Blocher participe mercredi à un symposium à la
Faculté de droit de l'Université d'Ankara qui célèbre les 80 ans de l'entrée
en vigueur du code civil turc.
Lors de cette visite d'un jour à Ankara, Christoph Blocher prendra également
part à une réunion de travail avec son homologue, Cemil Cicek, à une visite
de courtoisie au ministre de l'intérieur, Abdulkadir Aksu, et à une
rencontre avec la présidente de la Cour constitutionnelle, Mme Tülay Tugcu.
Le programme comportera en outre le dépôt d'une couronne au mausolée du
fondateur de la Turquie moderne, Mustafa Kemal Atatürk.
Au cours de ces dernières années, des visites de conseillers fédéraux en
Turquie ont été annulées à plusieurs reprises, que ce soit le ministre de
l'Economie Joseph Deiss en 2005 ou la ministre des affaires étrangères
Micheline Calmy-Rey en 2003.
Le motif de ces tensions est sans doute à chercher dans la condamnation par
le parlement cantonal vaudois du génocide arménien de 1915, suivi en
décembre 2003, par la Chambre basse du parlement fédéral, ainsi que dans les
enquêtes menées en Suisse à l'encontre d'un politicien turc pour entorse à
la loi antiraciste.
L'université de Fribourg propose les 20/21 octobre un symposium intitulé
«Révolution dans le droit islamique – 80 ans de Code civil suisse en
Turquie».