ESPOIR POLITIQUE EN TURQUIE ?

 


Création d'un nouveau parti pro-européen

ANKARA (AFP) - Après l'annonce par l'ex-chef de la diplomatie Ismail Cem de la création d'un nouveau parti pro-européen, la confusion politique perdure en Turquie, car même si l'hémorragie dans le parti du Premier ministre Bulent Ecevit continue, la relève risque de prendre du temps.

La semaine a vu le paysage politique turc profondément transformé, avec un Premier ministre malade plus acculé que jamais mais refusant de démissionner, et l'apparition d'un trio d'opposants d'envergure, visant le pouvoir mais manquant de structure et d'assise populaire. Il n'est pas sûr pour autant que l'horizon politique se dégage rapidement.

Le parti de la Gauche démocratique du Premier ministre Bulent Ecevit a encore perdu deux députés samedi, portant à 46 le nombre de députés qui ont quitté cette formation, et se retrouve troisième formation à l'Assemblée. Si le gouvernement perd la majorité au parlement, M. Ecevit "pourrait être forcé à démissionner", a-t-il admis. Samedi, son vice-Premier ministre Devlet Bahceli a lui aussi estimé que "si le gouvernement perdait le soutien de la majorité des députés à l'Assemblée, M. Ecevit devrait se retirer. La coalition conserve pour l'instant une marge de manoeuvre de 14 sièges.

Mais le parlement étant en vacances, et aucun parti n'ayant pour l'instant demandé sa convocation en séance extraordinaire pour déposer une motion de censure, rien ne peut constitutionnellement forcer le Premier ministre à partir. Très malade, éloigné de son bureau depuis plus de deux mois, M. Ecevit refuse d'entendre les appels à la démission qui fusent de toutes parts et d'envisager des élections anticipées par rapport au scrutin normal d'avril 2004.

Son gouvernement a perdu un vice-Premier ministre, son fidèle bras droit Husamettin Ozkan, et 6 ministres parmi lesquels son dauphin, le ministre des Affaires étrangères Ismail Cem. "Ecevit est coincé", écrit Hikmet Cetinkaya dans le journal Cumhuriyet de samedi, "et il est difficile désormais de garder le gouvernement sur pied".

Mais il a immédiatement remplacé ses ministres, nommant un anti-européen convaincu aux fonctions de vice-Premier ministre et chef de la diplomatie, Sukru Sina Gurel. Et il semble retrouver dans l'adversité redoublée une énergie qu'on lui croyait perdue : tôt samedi, il réunissait à son bureau déserté depuis début mai les caciques de son parti, plusieurs ministres et l'ancien et charismatique ministre de l'intérieur Saadettin Tantan.

En outre, la nouvelle formation politique menée par M. Cem, qui n'a pas encore de nom, manque d'appareil et de soutien. Elle peut compter sur une bonne partie des 45 députés démissionnaires du DSP, mais n'a pas d'implantation dans les provinces du pays. M. Ozkan était entouré jusqu'ici d'une épaisse atmosphère de mystère, voire de méfiance, et son nom reste associé à des manipulations financières douteuses. M. Cem est apprécié à l'étranger et auréolé du succès de l'acceptation de la Turquie comme candidate à l'intégration de l'Union Européenne, mais cela ne lui garantit pas les suffrages des campagnes. M. Dervis était inconnu l'an dernier quand il a débarqué de New-York, et passe pour un technocrate "étranger", absent du pays depuis très longtemps.

"Il sera difficile de faire tomber la coalition tripartite, et plus encore d'en former une nouvelle", écrit Kemal Balci dans le Turkish Daily News.

Le vice-Premier ministre Mesut Yilmaz, président du parti de la Mère patrie, dit considérer "chaudement" la formation du nouveau parti, mais se refuse à quitter l'actuel gouvernement. "Faut-il vraiment faire tomber le gouvernement?", demande Ismet Berkan dans le quotidien Radikal, "cela présente toujours un risque, et dans cette situation le risque est encore plus grand". L'opposition brandit la menace d'élections mais ne s'entend pas sur la date. Le blocage pourrait donc se prolonger de longues semaines, par exemple jusqu'au 1er septembre, quand le Parlement siégera à nouveau.

 


Le gouvernement d'Ankara sur le fil du rasoir

TURQUIE Le départ du chef de la diplomatie a failli être suivi de celui du ministre de l'Économie, qui est finalement revenu sur sa décision

Istanbul : de notre correspondant Éric Biegala
[12 juillet 2002]

Le ministre des Affaires étrangères, Ismaïl Cem, a confirmé officiellement sa démission hier, à la mi-journée, tandis que celui de l'Économie, Kemal Dervis, était également donné comme démissionnaire en fin d'après-midi... avant de revenir sur sa décision en début de soirée. La crise du gouvernement Ecevit s'installe ainsi dans la durée : sept ministres ont rendu leur tablier depuis le début de la semaine, et s'il n'y en a pas eu un huitième hier soir, c'est manifestement que le risque d'explosion était devenu trop grand sur les marchés.
L'un des rares politiciens turcs à bénéficier d'un réel crédit sur la scène internationale, le chef de la diplomatie, aujourd'hui démissionnaire, est aussi le principal artisan du rapprochement gréco-turc initié à l'été 1999, et qui a ouvert la voie à l'admission de la Turquie comme candidate « officiellement approuvée » à l'intégration européenne. Son départ enlève toute crédibilité internationale au cabinet Ecevit

Quant à Kemal Dervis, il n'est autre que l'indispensable cheville opératoire de l'exécutif turc. Débauché en catastrophe de la Banque mondiale l'année dernière pour juguler la plus grave crise financière qu'ait connue le pays depuis plus d'un demi-siècle, il est l'architecte des derniers accords « stand-by » signés avec le FMI. Nantis d'une enveloppe totale de près de 30 milliards de dollars, ceux-ci ont fait de la Turquie le plus important débiteur mondial du Fonds. Ils exigent un complet aggiornamento des pratiques de l'establishment politique turc, et une réforme bancaire qui a pour le moment creusé la dette publique dans des proportions alarmantes.

Donné démissionnaire dans un premier temps, Kemal Dervis a semble-t-il accepté de revoir sa décision suite aux pressions de différents cercles, notamment de la présidence de la République. Il faut dire que dans les minutes qui ont suivi l'annonce de son départ, le dollar s'est immédiatement mis à flamber, amenant la Banque centrale à intervenir. Une indication s'il en est de la panique susceptible de s'emparer d'un pays à l'économie fortement dollarisée. Que le départ de Kemal Dervis soit effectif ou non, il n'en reste pas moins que le cabinet Ecevit est aujourd'hui en coma dépassé. Il est probable que le FMI suspendra ses pourparlers faute d'interlocuteur, remarquait hier soir Jean-Raphaël Chaponnière, analyste au Poste d'expansion économique français d'Istanbul. Une équipe du FMI est actuellement en mission à Ankara pour y négocier le versement de 1,1 milliard de dollars au titre de l'accord « stand-by » de 2002.

Les techniciens du FMI ne seront pas les seuls à déclarer forfait : leur patron, Horst Köhler, comme celui de la Banque mondiale, James Wolfensohn, qui étaient tous deux attendus pour le milieu de la semaine prochaine, se sont finalement désistés. Quant au président de la Commission européenne, Romano Prodi, son cabinet annonçait hier en fin d'après-midi renoncer d'un commun accord avec les Turcs à la rencontre prévue les 18 et 19 juillet avec les principales têtes de l'exécutif.

Curieusement, les marchés ne se sont guère excités à l'annonce des premières démissions de l'exécutif turc. Bien sûr, les taux d'intérêt ont recommencé à grimper au-delà des 70 %, ce qui, avec une inflation ramenée à 45 %, donne des taux réels particulièrement forts. S'ils se maintiennent à ce niveau, le pays va devoir à nouveau creuser sa dette en 2003, pronostique Jean-Raphaël Chaponnière. Mais les analystes comme les courtiers se satisfaisaient hier de la perspective d'une alternative politique.

Mercredi soir, en effet, les ministres démissionnaires emmenés par l'ancien vice-premier ministre, Hüsamettin Özkan, remercié ce lundi, tenaient conciliabule. Ismaïl Cem et Kemal Dervis étaient tous deux présents, et cette présence des deux piliers de la crédibilité turque internationale aux côtés d'un stratège de la politique intérieure rassure tout le monde. Les trois hommes, dit-on, sont en train de jeter les bases d'une nouvelle formation politique sur les ruines du Parti de la gauche démocratique (DSP) de Bülent Ecevit. Le parti du premier ministre, en effet, n'est plus que l'ombre de lui-même, avec au moins une trentaine de députés démissionnaires. En cas d'élections anticipées, une formation emmenée par un Bülent Ecevit gravement affaibli par la maladie n'aurait manifestement aucune chance... Les autres partis de la coalition gouvernementale sont dans un état similaire : la plupart des sondages ne leur donnent pas plus de 8 ou 9 % d'intentions de vote.

 


LE 11.07.02 | 19h33

La démission d'un homme-clé du gouvernement turc

Le ministre turc de l'économie, Kemal Dervis, a retiré sa démission jeudi de son poste dans le gouvernement de coalition du premier ministre Bülent Ecevit.

 

Le ministre turc de l'économie, Kemal Dervis, a annoncé jeudi avoir retiré sa démission de son poste au gouvernement sur demande du premier ministre, Bülent Ecevit, et du président, Ahmet Necdet Sezer. Dans une déclaration écrite diffusée par son service de presse, M. Dervis souligne qu'il "accepte que sa démission ne soit pas effective, suivant une demande en ce sens du premier ministre et du président de la République". M. Ecevit, cité par la chaîne d'information NTV, s'est félicité de la décision de M. Dervis de conserver son poste au cabinet. "Je lui souhaite bon courage dans son travail ardu et je le remercie de sa décision", a déclaré M. Ecevit. L' annonce de la démission de M. Dervis suivait de quelques heures à peine l'annonce officielle de la démission du ministre des affaires étrangères, Ismaïl Cem.

Artisan du plan de sauvetage soutenu par le Fonds monétaire international (FMI) pour sortir la Turquie d'une grave crise économique, il était présenté comme l'un des piliers d'un nouveau parti que M. Cem doit incessamment former avec l'ancien vice-premier ministre Husamettin Ozkan pour pousser M. Ecevit vers la sortie. M. Dervis, 53 ans, était l'un des vice-présidents de la Banque mondiale avant d'être appelé à la rescousse par M. Ecevit quand le pays fut frappé par la plus grave crise de son histoire en février 2001.

UN GOUVERNEMENT SUR LE FIL

La démission de M. Cem pourrait porter un coup fatal au gouvernement de coalition du premier ministre, Bülent Ecevit, dont la marge de manœuvre est extrêmement réduite. D'autres ministres et parlementaires pourraient faire de même, en signe de solidarité avec M. Cem, homme politique charismatique, et compromettre la majorité d'un gouvernement au Parlement qui s'effrite de jour en jour. M. Ecevit, 77 ans, absent de la vie politique depuis plus de deux mois à cause de sa mauvaise santé, est acculé à la démission face à l'érosion de son parti, mais n'a pas encore réagi à cet exode de sa formation. Il a formellement exclu une démission.

Le premier ministre a admis cependant dans un journal turc, mercredi, pour la première fois, la possibilité d'élections anticipées, alors qu'il s'opposait fermement jusqu'à présent à une telle éventualité avant la date prévue de 2004, comme le souhaitent ses deux partenaires de la coalition. "Le 57e gouvernement de M. Ecevit est terminé. Il doit démissionner, faute de quoi il sera renversé par un vote de confiance au Parlement", a lancé Omer Vehbi Hatipoglu, un influent député du parti islamiste du Bonheur (Saadet), à la chaîne d'information NTV.

NOUVEAU PARTI, NOUVELLE MAJORITÉ ?

M. Cem devrait rapidement prendre la tête d'un nouveau parti de centre-gauche. Ce parti sera pro-européen et sauvegardera les relations stratégiques avec les Etats-Unis, allié traditionel. L'homme fort du parti est par ailleurs déterminé à respecter le programme de redressement économique conclu avec le Fonds monétaire international (FMI) pour sortir la Turquie de la plus grave crise économique de son histoire.

Il visera également à faire passer au Parlement les réformes démocratiques nécessaires pour intégrer la Turquie à l'Union européenne, bloquées par les ultranationalistes du gouvernement de M. Ecevit et en partie à l'origine de la crise actuelle. La Grèce a souhaité, jeudi, qu'une "issue rapide soit trouvée à la crise" en Turquie, et exprimé l'espoir que l'instabilité actuelle n'affectera pas le rapprochement bilatéral en cours.

M. Cem et son homologue grec, Georges Papandréou, sont les artisans du rapprochement bilatéral lancé en 1999. "C'est une dream team (équipe de rêve)", a commenté Ismet Berkan, éditorialiste au journal Radikal, estimant que le trio Cem-Dervis-Ozkan – qui devrait diriger le parti –, "pro-européen, intellectuel et urbain", va renforcer la main de la Turquie dans ses difficiles relations avec l'Europe.

L'idée d'une nouvelle formation politique a été accueillie favorablement par les marchés financiers volatils du pays, la Bourse d'Istanbul grimpant de 0,8 % à la clôture.

Avec AFP

 


Ismaïl Cem, diplomate et fervent européen

[12 juillet 2002]

Sa présence au gouvernement rassurait les diplomates européens et américains. Fin diplomate, doté d'un charisme certain, Ismaïl Cem a démissionné, hier, de son poste de ministre des Affaires étrangères du gouvernement Ecevit, quittant dans la foulée son parti de la Gauche démocratique (DSP). Issu d'une famille bourgeoise d'Istanbul, Ismaïl Cem, 62 ans, a été nommé chef de la diplomatie turque en 1997 dans le gouvernement de coalition formé par Mesut Yilmaz, le chef du parti de la Mère patrie (Anap, centre droit). Il a retrouvé ce poste après les élections d'avril 1999, le conservant jusqu'en 2002.
Fervent partisan de l'entrée de son pays dans l'Union européenne, il a beaucoup oeuvré pour que la Turquie obtienne, en décembre 1999, le statut de pays candidat à l'adhésion à l'UE. Très respecté par la classe politique turque et dans les milieux occidentaux, il avait été avec son homologue grec, Georges Papandréou, l'architecte du rapprochement entre la Turquie et la Grèce, deux voisins qu'opposent de nombreux différends. La société turque a appris à le connaître grâce à sa direction novatrice de la radiotélévision d'Etat (TRT) en 1974 et 1975, avant qu'il ne soit limogé pour ses idées jugées trop libérales à l'époque. Idéologue connu du mouvement social démocrate turc, il a été élu député d'Istanbul en 1987 sous les couleurs du Parti populiste social-démocrate. De 1989 à 1995, il a été président par intérim du groupe socialiste au Conseil de l'Europe.

Nommé ministre de la Culture du gouvernement de Tansu Ciller en 1995, il a rejoint les rangs du DSP.

Seul élu de gauche de Kayseri, un fief islamiste, Ismaïl Cem est diplômé de la faculté de droit de l'université de Lausanne, et titulaire d'une maîtrise de sociologie politique, obtenue à l'Institut d'études politiques de Paris en 1981. Avant de se consacrer à la politique, il a été chroniqueur et rédacteur en chef de plusieurs organes de presse. Il est également l'auteur de plus de dix ouvrages, consacrés notamment à la social-démocratie turque.