DOUBLE IDENTITE, DOUBLE FIDELITE

 

Livre. Entre Algérie et France, Souâd Belhaddad raconte comment elle a essayé de concilier traditions ancestrales et éducation républicaine.

Double identité, double fidélité

Par JEAN-LUC ALLOUCHE
Le jeudi 13 decembre 2001 (Libération)

«Entre-deux je. Algérienne? Française? Comment choisir...» Souâd Belhaddad, Mango Document, 168 pp., 72 F (11 euros).

Qu'est-ce que cela fait de se voir, un jour, enfant de 5 ans, ainsi traitée: «Toi, l'Arabe, tu pues»? Surtout quand on est l'objet des obsessions de propreté de sa propre mère... Cela fait certes mal mais, surtout, annonce les vertiges d'une identité. Identité qui n'a pas encore ses relents froids sociologiques mais, avant tout, la découverte qu'on a le teint bistre, les cheveux crêpelés, un accent si exotique; des stigmates comme autant de blessures intimes.

Souâd Belhaddad, née en Algérie, a débarqué avec les siens en France, au lendemain de l'indépendance de sa terre natale. Mais la trajectoire de sa famille est singulière: son père fut l'un des très rares hauts fonctionnaires, kabyle et musulman, que la République eut formés et employés au service de l'Etat. Rien d'étonnant à ce qu'elle se sentît d'emblée une chaude proximité avec ses nouveaux voisins pieds-noirs d'une lointaine banlieue parisienne, comme elle, partagés entre leur amour douloureux de l'Algérie et leur acclimatation aléatoire à la France.

Cependant, elle, jeune fille partagée entre une éducation véritablement républicaine et une tradition entretenue par sa mère, entre de nouveaux codes «universels» et d'anciennes lois ancestrales, aura à choisir. Entre soumission ou rupture, il faut trancher: elle choisira la fidélité. A elle-même d'abord, et donc à la fois aux inquiétudes de ses parents et aux promesses de sa jeune vie.

Machisme des Algériens, peur de la sexualité, tabou de la virginité et, au-delà, les mille signes et insignes de la différence, du malaise d'appartenir à une autre culture, une autre foi, une autre manière d'appréhender le monde, et, enfin, l'inconnu de la liberté à conquérir, Souâd Belhaddad emporte, un à un, ces bastions. Non sans souffrir - son corps le lui fait assez sentir - mais sans forfanterie («Et si une seule génération, c'était trop peu pour rompre la chaîne?», souffle-t-elle). Avec fierté, tout de même. Et à juste titre.

Car «l'exil est un parcours dangereux», écrivait Brecht. Il l'est par toutes les embûches tendues sous les pieds de «l'entre-deux»: que ou qui choisir? Comment décider entre la prière muette de la famille quand on devient nubile («Pas de Français!») et l'inflexible volonté de s'appartenir? Cependant, entre ces «entre-deux», il y aura l'Italie, comme une terre promise, de légèreté, de douceur, comme un moyen terme tendre pour accepter enfin la France. Il y a la vocation impérieuse du journalisme. Il y a Alger, non plus sa «ville d'amour» des vacances familiales, mais celle de son métier grâce auquel elle interroge des femmes entravées (parfois de leur plein gré) de ce pays aimé-haï. Il y a Beyrouth, où se dévoile enfin la langue arabe, «sensuelle, riche, littéraire, délicieuse». «Tel un baume naturel, l'arabe me guérit. Dès lors, je ne laisserai plus quiconque le railler.» Il y a les nouveaux territoires et le grand large de la liberté vagabonde.

Entre confession et constat, entre hier et demain, Entre-deux je va au-delà d'une simple thérapie. Certes, les doutes ne sont pas levés: «La culpabilité n'a pas donné son congé définitif, bien sûr. Elle a, cependant, cessé de dominer le jeu... Je finirai par avoir sa peau.» Avec ce beau récit, celle-là n'en a plus pour longtemps.