TURCOPHILIE
Henriette Muheim, la Turquie et les kilims
swissinfo 3 avril 2006 11:56
Henriette Muheim-Dumlupinar organise deux expositions-ventes de kilims en
Suisse chaque hiver. (swissinfo)
Après avoir été mère de famille et professeure de langues, cette Fribourgeoise
mène sa deuxième vie de marchande de tapis en Turquie. Avec succès.
Rencontre de swissinfo avec cette Suissesse de l'étranger qui a la bougeotte
depuis toujours.
«Je suis née en Suisse, mais j'ai grandi en Australie. Plus tard, j'ai voyagé un
peu partout avec mon premier mari suisse, qui était médecin, avant de revenir à
Genève et Fribourg», souligne Henriette Muheim-Dumlupinar.
Une fois ses deux fils sortis de la coquille, elle a été reprise par la
bougeotte. Elle a découvert la Turquie en vacances.
Au retour, Henriette Muheim-Dumlupinar s'est mise au turc, «parce que je trouve
cette langue très jolie et que j'aime bien participer et comprendre ce qui se
passe autour de moi».
Toutes les options possibles
Deux ans plus tard, elle s'installe à Izmir comme professeure de langue dans une
école. «Je suis partie avec ma voiture, mon duvet et mes tableaux. Je ne savais
pas si je resterais un an ou dix et je laissais toutes les options ouvertes.»
C'était il y a dix-neuf ans et Henriette Muheim est devenue, six ans plus tard,
Madame Aykut Dumlupinar. Aujourd'hui, elle parle couramment le turc et est bien
acceptée par sa belle-famille.
«Pour nous, Européens, ou même pour les jeunes Turcs, la famille peut paraître
omniprésente, voire envahissante. Mais j'avais déjà passé 40 ans et ma
belle-mère a toujours manifesté une grande discrétion», raconte-t-elle à
swissinfo.
A belle-mère atypique, mari atypique, même en Suisse: Aykut Dumlupinar fait le
ménage, la cuisine, la lessive, etc. Et, surtout, il a suivi sa femme dans sa
nouvelle orientation professionnelle.
Henriette et Aykut Dumlupinar viennent chaque hiver en Suisse. (swissinfo)
La passion des kilims
Car l'autre versant de la vie d'Henriette Muheim, c'est la passion des kilims,
ces tapis tissés par les villageoises ou les nomades d'Anatolie. A force de
visites au bazar, l'enseignante devient experte.
«D'abord, j'en ai acheté pour moi, puis j'ai eu envie de les montrer à mes amis,
et enfin j'ai ouvert un magasin.» A Kalkan, un village entre Fethiye et Antalya,
sur la côte sud-ouest très touristique du pays.
«On voulait un petit coin mais accessible aux touristes. Le magasin a bien
marché pendant plus de dix ans, puis les choses se sont détériorées sous la
pression du tourisme de masse.»
Henriette et Aykut ont donc décidé de fermer leur magasin. Mais ils continuent
de venir chaque hiver en Suisse, où ils organisent deux expositions-ventes. De
leurs quartiers d'hiver fribourgeois, ils rayonnent dans divers pays européens
pour des week-ends de vente chez des particuliers.
Un patrimoine qui meurt
Traditionnellement, les Anatoliennes fabriquaient aussi des tapis noués,
destinés à la vente. Les kilims, plus humbles, étaient réservés à leur usage
personnel. Elles laissaient courir leur imagination dans les motifs, les
compositions, les couleurs.
«Chaque tapis était une pièce unique, si bien qu'on savait dans quel village,
voire par quelle femme, il avait été fait», s'enthousiasme Henriette Muheim.
Le problème, c'est que les femmes ne tissent plus «leurs» kilims. Elles ont même
commencé à échanger leurs tapis familiaux contre des tapis en orlon, fait à la
machine, ou des ustensiles de ménage.
Aujourd'hui, la récolte des vieux kilims d'Anatolie se tarit et les femmes n'en
tissent plus... «Ou alors elles copient des motifs et font de la série car elles
sont payées à la pièce, qu'on trouve dans les grands-magasins suisses», déplore
Henriette Muheim. Laquelle a de plus en plus de problèmes à trouver des pièces
originales.
C'est un patrimoine qui disparaît mais, au moins, est-il en partie sauvé, estime
la Suissesse. En raison de leur prix plutôt bas, les kilims échappent aux
restrictions d'exportation qui protègent les antiquités. «Cela évite qu'ils ne
tombent en poussière dans les greniers puisque les Européens les apprécient
tant», ajoute l'experte suisse.
La Turquie plutôt que la Suisse
Un retour en Suisse est-il envisagé? Madame Muheim-Dumlupinar n'en a pas la
moindre intention.
Elle et son mari sont même en train de se construire une maison en Turquie.
«J'ai de la chance car je peux avoir un pied dans les deux mondes, dans mes deux
vies.»
L'automne-hiver, elle retrouve famille et amis avec joie mais c'est tout. «Si
j'étais obligée de choisir, je n'imagine pas une seconde rentrer. Je choisirais
la Turquie.»
«Certes, conclut-elle, la vie n'y est pas toujours facile, comme partout, mais
ce pays se transforme en permanence. Il s'y passe plein de choses tous les
jours, alors que, en Suisse, je vois les gens devenir de plus en plus fatigués,
tendus et inquiets.»
swissinfo, Isabelle Eichenberger
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