C'est Turc! INDUSTRIE

 

Industrie : ces Turcs qui habillent l’Europe
2 août 2006

CHRISTOPHE LAMFALUSSY
La Libre Belgique, le 02/08/2006

L’industrie textile turque a pénétré le marché européen. Un exemple : Söktas, qui produit des tissus pour les grandes marques, de Hugo Boss à Zara.

À SOKE

En 1971, Muzaffer Kayhan ouvrait une petite société de textile, à Soke, non loin d’Izmir, en Turquie. Söktas se lançait modestement dans la fabrication de serviettes pour le marché italien.

Trente-cinq ans plus tard, le fils, Muharrem Kayhan, trône sur un petit empire de 1 400 employés. Le holding familial contrôle 73 pc des actions ; le reste est placé à la Bourse d’Istanbul. Le patron possède une magnifique collection d’antiquités et de monnaies issues du riche terroir de la côte égéenne.

Mais surtout, Söktas habille une bonne partie des Européens, qui l’ignorent. Armani, Zara, Versace, Marks and Spencer, Gap, Hugo Boss, Façonnable, Dockers... sont des clients de cette société turque qui fabrique, à la demande, des tissus pour la confection européenne et américaine. Comme de nombreuses entreprises turques du textile, Söktas fait sérieusement concurrence à l’Italie, et résiste tant bien que mal au rouleau compresseur asiatique.

« Dans les années 90, Marks and Spencer s’était tourné vers l’Extrême-Orient. Nous avons récupéré le fast-track », explique Muharrem Kayhan, nonchalamment assis dans un spacieux bureau rempli d’antiquités.

Par « fast-track », Söktas entend la fabrication de petites quantités de tissu, à la demande et livré rapidement, en quatre à cinq semaines.

« Nous sommes en compétition dans l’Europe de l’Ouest, avec l’Europe de l’Ouest », reconnaît l’industriel turc.

La concurrence est rude. Si les salaires turcs sont ridiculement bas par rapport à leurs homologues ouest-européens, ils sont bien supérieurs aux rémunérations des ouvriers chinois. Un ouvrier de l’industrie textile turque gagne environ 350 euros par mois.

Depuis la levée des quotas d’importation sur le textile chinois en janvier 2005, partiellement rétablis en juin de la même année par l’Union européenne pour dix produits jusqu’à 2008, l’industrie textile turque (10 pc des emplois dans le pays) subit de plein fouet la concurrence chinoise.

La Chine, avec ses contrats géants, ses cadences infernales et ses ouvriers mal payés, est devenue le premier exportateur de textiles vers l’Union européenne, devant la Turquie.

Alors comme beaucoup d’industriels européens, Söktas vise la qualité, le design et la créativité. Plusieurs stylistes travaillent sur ordinateur au siège de Soke pour concevoir les tissus qui feront fureur.

« Aujourd’hui », dit l’industriel, « tout est très technique. Le problème est d’être le premier et d’avoir un produit en avance sur les concurrents de cinq ou six saisons ».

Les couleurs à la mode se décident sur le plan international « par une sorte de franc-maçonnerie de 20 à 30 designers », ajoute l’industriel. « Actuellement, nous envoyons à nos clients nos propositions pour la collection d’hiver 2007-08. Il y aura le show de Paris de la mi-septembre. Les designers vont se concerter. Nous recevrons les commandes de nos clients vers mars-avril 2007. »

En se développant, la Turquie augmente graduellement les salaires et perd donc en compétitivité par rapport à la Chine. Mais la récente dévaluation de la livre turque, la proximité de la Turquie avec le marché européen et la jeunesse de sa force de travail donnent encore des atouts à la Turquie.

Plusieurs grands noms de la confection en Europe fabriquent désormais en Turquie. C’est le cas de la société allemande Hugo Boss qui emploie 3 000 personnes dans le Free Trade Zone d’Izmir.