ISTANBUL

 

Paris Kaboul : La Movida d'Istanbul

Première étape, Istanbul, prise d'une fringale de modernité, affiche ses racines anatoliennes et ses envies d'Europe.

Olivier Weber

Première grande étape de l'Expédition à but culturel et scientifique Paris-Kaboul, Istanbul, l'historique capitale des sultans, semble prise, en ce mois d'août 2003, d'une fringale de modernité, d'une propension sidérante à inventer. Cité-détroit par excellence, accrochée au Bosphore comme un mollusque tentaculaire, Istanbul a ceci de particulier qu'elle a fini par réunir ses deux rives, l'européenne et l'asiatique. Sur les quais iodés du Bosphore, dans les bistrots enfumés de Cagaloglu ou les vieilles échoppes d'Eyüp, s'opère une étrange alchimie. Une frustration rentrée, reliquat de cette ancienne attribution d'« homme malade de l'Europe » qui cède le pas à une fierté retrouvée. A une redécouverte de son passé, non celui des sultans de la Sublime Porte, mais de la tolérance, et d'un certain cosmopolitisme « a la turca ».

Prenez la rive asiatique. Réceptacle des paysans qui ont fui les misères d'Anatolie, cette moitié d'Istanbul était devenue l'un des fiefs fondamentalistes. Les rues animées de Bostanci et l'avenue arborée de Bagdad sont désormais le lieu d'une joyeuse Movida qui cultive les modes, les festivals - jazz, littérature, cinéma. « Moi qui suis profondément europhile, dit le romancier Yigit Bener, c'est ici, sur le côté asiatique, que je m'y retrouve le mieux. »

Cette métamorphose subtile, les Stambouliotes la ressentent au plus profond d'eux-mêmes. D'abord par une symbiose entre les racines anatoliennes et les envies d'Europe. Ensuite par un jeu habile du nouveau vizir, Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre islamiste, qui vient de damer le pion aux militaires en leur retirant le trône tout-puissant du Conseil de sécurité national. Kemal Atatürk, le fondateur de la République turque, s'en retournerait dans sa tombe... Sublime tour de passe-passe mais aussi incroyable paradoxe en Turquie, ce sont les islamistes qui démocratisent et les généraux qui résistent. Enfin, loin de créer une hypothétique osmose entre l'Orient et l'Occident, Istanbul s'offre un nouveau multiculturalisme. « Ce que l'on vit à Istanbul, c'est une nostalgie occidentalisante vibrionnante », dit l'historienne Edhem Eldem.

Un Orient renouvelé

Le Bosphore aura le dernier mot au terme de cette escale alors qu'un bâtiment grec se balance face à Dolmabache, le dernier palais de l'Empire ottoman, profitant de la liberté de circulation sur le détroit depuis 1936. L'incroyable chassé-croisé des vapurs (ferrys), des chalutiers et des deniz otobüsleri (autobus de mer) ramène sans cesse l'ancienne Byzance à un jeu de saute-mouton au-dessus de ses eaux mêlées. Une manière de mélanger ses racines et ses désirs. Une façon aussi de contrer la tentation islamisante. Le caravansérail tumultueux de la route de la soie est devenu une porte sur un Orient renouvelé. Des cafés branchés de Galata aux tripots des interminables faubourgs, c'est aussi cela, le charme stambouliote

Retrouvez l'expédition Paris-Kaboul avec Marie Bourreau dans les différents journaux de RTL et sur rtl.fr

 

Le Point 22/08/03 - N°1614 - Page 33