C'est Turc! Selahattin ÜLKMAN

 

"Un Juste Turc, Mr Selahattin Ulkman", par Herbert Israel
17 juin 2006

Herbert Israel

J’ai connu Rhodes à travers les récits de mon père, telle une histoire d’amour qui s’est perpétuée pendant quatre siècles.

Elle m’est donc familière et lointaine. Mon père, un merveilleux conteur, auréolait ses récits des voyages, des écrits et de la grande renommée des rabbins Israël dont les portraits ornent l’album familial.

Bien plus tard, au cours d’une escale dans l’île, j’ai appris que l’actuel président de la communauté, M. Soriano, avait été sauvé pendant la guerre, avec quelques autres, par le consul de Turquie.

En 1992, j’ai lu dans le journal Hamevasser de la communauté de Copernic que Mr Selahettin Ulkman, consul de Turquie à Rhodes en 1943/1944, avait été reconnu en juin 1990 par Yad Vashem comme Juste parmi les Nations.

J’ai donc cherché à savoir davantage sur les circonstances de son aide et de ses actes. J’ai été aidé dans ma tâche par Mr Brobart, correspondant de Yad Vashem à Paris, par Moïse Rahmani et par Madame Jacqueline Benatar de Jérusalem, Cythie Haft et le Dr. Paldiel Mordehai du département des Justes.

Je les remercie et précise que c’est grâce à eux que j’ai pu avoir accès à tout ce que j’ai pu connaître sur Mr. Ulkman.

La chronologie de la recherche du sauvetage des Juifs de Rhodes par Mr. Ulkman est la suivante :

En 1988, le journal israélien Davar parait avec en gros titre un article intitulé : "les Turcs ont également sauvé des Juifs".

Le 10 Août 1988, Mr. Schlomo Cohen de Jérusalem, écrit au directeur de Yad Vashem, en joignant une copie de l’article du Davar, mentionnant le rôle salvateur du consul de Turquie.

Il demande que l’on retrouve les survivants susceptibles de témoigner du sauvetage des 42 juifs de Rhodes. Mr. Isac KEREM de Jérusalem est alors chargé de cette tâche par Yad Vashem.

Après un voyage qui le mènera en Grèce, en Turquie, en Bulgarie et en France, il écrit un rapport détaillé en juillet 1989, dont j’ai eu connaissance.

Il a retrouvé et interviewé Mr. Selahettin Ulkman dans sa résidence d’Etiler, proche d’Istanboul. Mr. Ulkman avec pudeur et simplicité, lui raconta qu’il avait juste 29 ans en 1943 et qu’il venait d’être promu au titre de consul à Rhodes.

Il avait eu à tenir tête aux officiels allemands et tout spécialement au commandant de la Wehrmacht Kleeman, en charge de la raffle et de la déportation des Juifs. La situation de ces derniers, déjà précaire à la suite de la promulgation des lois raciales s’était dangereusement détériorée àpartir du 8/9/1943 lorsque les Italiens signeront un armistice avec les alliés. Les tensions entre les autorités consulaires turques et les allemands se dégraderont parallèlement très vite.

Cela commença lorsque les Allemands accusèrent les marins turcs de l’île d’aider les soldats italiens à déserter. Ils menacèrent de fusiller 39 turcs.

Mr. Ulkman réussit à les faire relacher, malgré les manoeuvres d’intimidation, dont le survol à brève altitude du consulat turc par des bombardiers allemands.

Le 18 février 1944, et dans leur logique de représailles progressives, les Allemands bombardent le consulat turc, blessant Mr. Ulkman et tuant 2 membres du personnel.

Malgré des menaces répétées, Mr. Ulkman refusa de quitter son poste. Il déplaça le consulat dans une villa vacante à Muxe, à 5 kilomètres du centre.

Le 20 juillet 1944, les Juifs turcs avisent le consul que les Allemands commencent à rassembler la population juive de l’île.

Mr. Ulkman se rendit immédiatement au quartier général du Commandant Kleeman et protesta énergiquement contre ces violations des conventions internationales.

Il lui fut répondu que d’après les lois allemandes, les Juifs devaient être envoyés dans des camps de concentration.

Le Consul Ulkman savait parfaitement la réalité sinistre des camps de la mort. Il argumenta qu’il n’y avait pas de differenciation possible entre les nationaux turcs, quelque soit leur religion.

Il revint le lendemain au centre de Chemenlik, lieu de rassemblement des Juifs de l’île. Il s’enquit personnellement du cas des 42 ressortissants turcs et avait amené papiers d’identité et passeports pour eux ainsi que tous les conjoints et enfants.

Le commandant Kleeman, soucieux peut être de ne pas envenimer davantage les relations diplomatiques turco-allemandes accepta finalement de ne pas les déporter. Il fut inflexible au sort des autres.

Mr. Ulkman n’avait hélas pas d’argument juridique à lui apporter. Il ne put même pas protéger les ressortisants italiens, pays qui avait été l’allié de l’Allemagne, sauf tous ceux dont les conjoints étaient des nationaux turcs.

Le consulat turc de Rhodes était alors coupé du monde extérieur et ses télégrammes aux ambassades de Berne et d’Athènes étaient retenus par la censure militaire. Tout seul face aux nazis, il réussit à sauver 42 juifs. L’ensemble des Juifs de Rhodes furent déportés d’Athènes le 2 août 1944 à destination d’Auschwicz.

Le lendemain de cette date fatidique les relations diplomatiques turco-allemandes furent rompues. Le 30 Août 1944, Mr. Ulkman quitta l’île avec sa femme Miri Nisa sur le bateau hôpital Gradisca qui fut bombardé en cours de voyage.

A Athènes, Mr. Ulkman fut assigné à résidence au consulat turc. Il avait été question de l’évacuer en Allemagne avec d’autres diplomates de Bulgarie, Roumanie et d’Italie, pour être échangés contre des diplomates allemands. L’évacuation précipitée de la Grèce par l’armée allemande en octobre 1944 empêcha cette opération. Il repartit plus tard en Turquie sur le bateau Konya et reprit du service au Ministère des Affaires Etrangères.

Mr. Ulkman dont tous les témoins rendent unanimement hommage à son courage, à sa grandeur d’âme et à la magnaminité, est le seul musulman reconnu comme juste parmi les nations. Herbert Israël

C’est une Rhodeslie, Mme Amélie Tarica-Mizrahi qui a prononcé le discours en turc lors de la cérémonie de remise de la médaille. Elle réside à Ashdod, en Israël. Elle était très émue de retrouver cette langue après 40 ans.

Elle lui a offert une montre qui indique l’heure de différents endroits du monde et un presse-papiers en marbre pour le bureau, avec en dédicace ce petit mot : "qu’il sache qu’avec ce modeste présent que dans un coin du monde, quelqu’un pense à lui avec reconnaissance et lui souhaite santé et bonheur toujours".

Nous présentons toutes nos condoléances à notre ami Herbert et aux siens pour le décès de sa très chère Maman.

Source : www.sefarad.org