Les
travailleurs Turcs "invités" en Allemagne, toujours là 40 ans après
BERLIN, 30 oct (AFP) - Ils étaient quelques milliers de Turcs à débarquer en 1961 en Allemagne comme travailleurs "invités" afin de combler dans la main-d'oeuvre industrielle la saignée humaine de la Deuxième Guerre mondiale: quarante ans plus tard, les "Gastarbeiter" sont deux millions et envisagent de moins en moins le retour.
A l'époque, l'économie allemande, en plein boom après les pertes humaines et les destructions de la guerre, est en quête d'urgence de main-d'oeuvre: le 31 octobre 1961 entre en vigueur un accord de recrutement signé la veille entre la République fédérale d'Allemagne et la Turquie.
Les premiers Turcs sont accueillis avec des fleurs et des applaudissements par une population allemande qui n'a jamais envisagé de les voir rester, d'où cet euphémisme: "Gastarbeiter". Nombre d'entre eux sont d'ailleurs persuadés qu'ils sont là de façon provisoire, deux ou trois ans, le temps de rassembler un petit pécule.
En 1964, ils étaient déjà un million à répondre à l'appel des entreprises allemandes. Beaucoup sont allés travailler dans les centres industriels de l'ouest du pays, en Rhénanie du nord-Westphalie et au Bade-Wurtemberg, notamment dans l'automobile et le bâtiment.
Pour le député vert Cem Oezdemir, lui-même d'origine turque, ces hommes étaient des "vaches à lait" pour la société allemande. Ils ne coûtaient pas un sou en formation; venus sans famille, ils ne briguaient pas de places en crèche et occupaient souvent les emplois dont les Allemands ne voulaient pas: ouvriers spécialisés (OS) dans les chaînes de montage de l'industrie automobile, manoeuvres dans le bâtiment.
L'intégration n'était pas un sujet de préoccupation, ni du côté des Allemands ni de celui de ces Turcs de la première génération, prisonniers du mythe du retour au pays. Pourtant, petit à petit, ils s'installent, font venir leur famille, leurs proches.
La récession de 1967, le choc pétrolier de 1973, mettent le holà à cet appel de main-d'oeuvre: en 1973, l'accord de recrutement est gelé. Dans le même temps, les premières manifestations de ressentiment envers la communauté turque font leur apparition: ceux qui étaient les bienvenus en temps de croissance ne le sont plus en temps de crise. L'hebdomadaire Der Spiegel titre en juillet 1973: "Les Turcs arrivent - Sauve qui peut".
Aujourd'hui, après 40 ans de présence, la question de l'intégration de cette communauté étrangère, la plus importante d'Allemagne, se pose encore avec acuité. Beaucoup de Turcs se plaignent encore du peu d'intérêt des Allemands à leur égard tandis que les plus anciens, qui se sentent toujours "invités", continuent de se replier sur les ghettos constitués au fil du temps.
Dans certains quartiers de Berlin, il est ainsi facile de faire ses courses, d'aller chez le médecin ou le pharmacien sans parler un mot d'allemand. Toujours dans la capitale allemande, un turc sur deux se marie avec une femme venue du pays, perpétuant ainsi l'obstacle de la langue.
Lundi, le ministre du Travail de l'Etat régional de Rhénanie du nord-Westphalie, Harald Schartau, a reconnu qu'à la fois la classe politique et la société allemande avaient pendant longtemps trop peu fait pour aider à l'intégration des Turcs. Le directeur du Centre pour les études turques d'Essen (ouest), Faruk Sen, parle aussi cependant de "succès étonnants".
425.000 Turcs ont ainsi choisi la nationalité allemande. Parmi les deux millions restants, seul un tiers évoque encore l'idée du retour.
Une étude sur l'intégration menée cette année à l'initiative du gouvernement fédéral révèle que les Turcs se sentent bien mieux en Allemagne qu'il n'est généralement admis. Deux tiers des personnes interrogées sont ainsi persuadées qu'elles parlent bien ou très bien l'allemand, une impression vérifiée. Quatre jeunes turcs sur cinq rencontrent régulièrement des amis allemands. Seuls 17% utilisent des médias uniquement en langue turque pour s'informer. Et ils sont de plus en plus nombreux à se lancer dans les affaires.
Salih Gueldiken, de la chaîne de montage au conseil de surveillance
COLOGNE (Allemagne), 30 oct (AFP) - "Gagner de l'argent - acheter une voiture": Salih Gueldiken s'était fixé ces buts en prenant son billet train pour l'Allemagne, il y a près de 40 ans, profitant des accords de recrutement qui venaient d'être signés entre l'Allemagne et la Turquie.
Ses objectifs, le sexagénaire les a largement remplis. Et même dépassés au-delà de ses espérances: s'il avait su qu'il finirait sa carrière au conseil de surveillance de la filiale allemande du constructeur automobile américain Ford...
Le 3 mars 1962, il s'embarque en gare d'Istanbul dans un train à destination de Cologne (ouest). Et compte ainsi parmi les tous premiers "Gastarbeiter" (littéralement "travailleurs invités") turcs à s'installer en Allemagne.
"J'avais entendu dire que Ford cherchait des gens à Cologne. J'ai trouvé la ville sur une carte et je me suis dit: très bien, de là, on peut aller partout, aux Pays-Bas, en France, en Belgique...", se souvient-il. "J'ai pensé: j'y passe trois ans, je visite quelques pays et j'épargne pour une voiture".
Le sort en décidera autrement. Un gros lot tiré au loto lui permettra de réunir plus rapidement que prévu la somme nécessaire à l'achat d'une voiture. Et après trois ans passés à la chaîne de montage, le jeune ouvrier spécialisé (OS) se voit proposer par le puissant syndicat IG Metall une opportunité de carrière: entrer au comité d'entreprise (CE).
"Ils avaient besoin d'un traducteur pour informer, dans leur langue maternelle, les nouveaux collègues turcs des décisions du CE": Salih Gueldiken était l'homme de la situation. Déjà titulaire d'une formation d'électricien en Turquie, il avait en effet acquis à Cologne de solides connaissances en allemand, en fréquentant avec assiduité les cours du soir de l'Université populaire.
Quelques années plus tard, sa qualité de membre du CE lui permettra de gravir un nouvel échelon dans la hiérarchie de l'entreprise: "Quand la loi sur la cogestion est entrée en vigueur, je suis devenu le premier étranger à être élu au conseil de surveillance de Ford".
Il y siègera pendant près de vingt ans. "Beaucoup espéraient que je puisse les aider. Certains pensaient même que je pouvais tout changer". Avec le recul, aujourd'hui, le jeune retraité de 63 ans estime quand même être parvenu à faire bouger "quelques choses" pour les ouvriers turcs de Ford.
Le constructeur automobile n'a pas uniquement bouleversé professionnellement la vie de Salih Gueldiken. "Au départ, je ne voulais pas me marier, mais c'est au travail que j'ai rencontré ma femme... C'était le destin!" Elle aussi est d'origine turque. Elle travaillait chez Ford en tant que couturière.
mardi 30 octobre 2001, 9h05
http://www.bleublancturc.com/Franco-Turcs/Turcs_dAllemagne.htm