FILM TURC A CANNES

 

Cannes: dérive et errance sur les berges du Bosphore

Par Wilfrid Exbrayat
17.05.2003

CANNES (Reuters) - "Mon intention était de montrer la vacuité, le non-sens de l'existence." Telle est la profession de foi pour le moins radicale du cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan, dont le film "Uzak" (Lointain) est en lice pour la palme d'or.

Tout aussi radicale est sa mise en scène de l'errance de deux hommes. L'un (Muzaffer Özdemir) passe pour avoir réussi: il est photographe et occupe un appartement assez spacieux à Istanbul. L'autre (Mehmet Emin Toprak) est au chômage et, en provenance de son village natal, vient squatter un temps chez son cousin.

En réalité, tous les deux sont à la dérive et l'indice le plus criant de cette dernière est leur échec, chacun à leur manière, auprès des femmes. Si le photographe, divorcé, vit bien, il n'en a pas moins, semble-t-il, renoncé à un idéal plus créatif, proche de celui d'un Andreï Tarkovski, dont le nom est lancé lors d'une conversation à bâtons rompus.

"Tarkovski m'a convaincu de faire des films, surtout 'Le miroir', qui est peut-être mon film préféré entre tous", confie Ceylan à Reuters.

"En Turquie, l'écart entre les idéaux, quels qu'ils soient, et la réalité tend à se creuser et les deux personnages commencent à ressentir quelque chose de cet ordre", ajoute-t-il, précisant que, pour composer son histoire, il s'est inspiré aussi bien de sa propre vie que de celles d'amis et de connaissances.

"Quand j'étais jeune - poursuit-il - ma relation avec la société était difficile. Qui suis-je ? Telle était la question la plus pressante pour moi."

TRAITS D'HUMOUR

Photographe de formation - comme en témoigne une répugnance évidente à faire se mouvoir la caméra - Ceylan pose un contraste saisissant entre ses plans larges d'une Istanbul sous la neige, du Bosphore au couchant, ou encore des montagnes d'Anatolie, et ses plans d'intérieur où ses personnages semblent confinés, encerclés de toute part et hypnotisés par les écrans qu'ils soient de la télévision ou de l'ordinateur.

Mais cette impression claustrophobique, renforcée par une chiche lumière hivernale, est fondée puisque, selon Ceylan, "en ville, nous créons notre propre prison chez nous. En ville, il est plus difficile de demander quelque chose à quelqu'un, alors que cela se fait plus naturellement dans un village et je connais bien aussi la vie de village; en fait, nous tentons de créer une situation dans laquelle nous n'avons besoin de personne".

C'est peut-être pour cela, que le photographe, qui finit par être excédé par la présence de ce cousin qu'il trouve de plus en plus encombrant, trouve un stratagème pour le mettre mal à l'aise et en profiter pour lui faire la morale, arguant précisément que lui-même est arrivé à Istanbul sans un sou et a grimpé les échelons sans rien demander à personne.

Des traits d'humour, dans la relation entre les deux hommes, percent parfois la déprimante ambiante et les longs silences qui sont l'ossature même du long métrage. "C'est comme cela que je ressens l'existence; il y a toujours de l'humour même dans les moments les plus tragiques et même lorsque moi-même je me sens mal, mon oeil a tendance à saisir plus facilement ce qui est drôle que ce qui est triste".