DÖNER
KEBAB ALLEMAND ?!!!
Mieux que la "Bratwurst", le "döner kebab" !
Les foules
raffolent de cette version turque du sandwich. Mieux, le döner kebab figure
désormais en vedette sur les cartes des restaurants allemands aux Etats-Unis...
HANDELSBLATT
Düsseldorf
Mehmet Aygün avait 16 ans en
1971. Il travaillait dans le restaurant turc de son oncle, à Berlin, où l'on servait un
plat traditionnel, le döner kebab, littéralement "viande rôtie en
tournant". C'est alors qu'il eut une idée géniale : fourrer des pains turcs de
cette viande, cuite sur une broche verticale et coupée en lamelles, avec de la salade,
des tomates, de la sauce et des épices. Le döner moderne était né, sous sa
nouvelle forme, celle d'un sandwich que l'on peut manger dans la rue en marchant.
Il connut un succès immédiat. Aujourd'hui, trente ans après, 300 tonnes de viande
partent dans la préparation des 3 millions de döner consommés quotidiennement en
Allemagne. Le tout pour un chiffre d'affaires annuel de 3,6 milliards de marks [11
milliards de FF], réparti sur une dizaine de milliers de points de vente. Le döner
est considéré, à l'étranger - aux Etats-Unis, par exemple -, non comme une
spécialité turque, mais comme LE casse-croûte allemand, la réponse des Teutons à
l'impérialisme de McDonald's.
L'innovation a renvoyé dans leurs buts hamburger et saucisse au curry [classiques du
fast-food allemand] et s'est révélée très juteuse. Aujourd'hui, à 46 ans, Mehmet
Aygün possède cinq restaurants turcs à Berlin et plusieurs hôtels en Turquie. L'un de
ses établissements, le très chic Berlin-Mitte, arbore même un portier en
uniforme bordeaux à l'entrée, une moquette luxueuse et il reçoit les députés du
Bundestag qui viennent y déguster la version noble du döner.
Tout est réglementé : de la préparation de la viande - le découpage à lui seul
nécessite un apprentissage rigoureux - jusqu'à la dose de sauce à l'ail. En revanche,
les épices demeurent le secret du producteur. La viande doit être bien fraîche -
attention, pas de la veille -, comme d'ailleurs les légumes et les sauces. Avec la crise
de l'ESB, on a vu apparaître des döner au poulet et au poisson, ainsi que le döner
chinois, un mélange de légumes et de viande cuits au wok et fourré dans un mince
pain de blé. C'est actuellement l' öko-döner [le döner écolo] -
végétarien - qui a le vent en poupe : farci aux courgettes râpées, aux épices ou au
fromage de brebis, il est particulièrement délectable, surtout si le pain a été cuit
au feu de bois.
Le döner connaît également un énorme succès aux Etats-Unis depuis qu'Alfred
Härle, un homme d'affaires originaire de Hesse, a créé Kebab USA. Cette société
administre une chaîne de restaurants au nom paradisiaque de Rhein Haus [maison du Rhin]
situés essentiellement dans les galeries commerciales. Härle y propose un assortiment
des musts de la cuisine allemande : Bratwurst [saucisses grillées], Leberkäse
[préparation à base de foie de porc servie en larges tranches], Schnitzel
[escalopes panées], mais c'est le döner qui est présenté comme le plat allemand
par excellence. La version américaine est faite avec de la viande de boeuf et elle se
vend l'équivalent de 13 marks [43,50 FF], ce qui, pour un prix de revient inférieur à 1
dollar [7,30 FF], offre une jolie marge bénéficiaire au restaurateur. Comme il faut
s'adapter aux goûts de la clientèle, on y ajoute du ketchup et de la mayonnaise.
Si le döner kebab est devenu le casse-croûte multiculturel qui permet aux
Allemands de marquer des points, c'est parce que le monde entier croit qu'il est made
in Germany. Or il n'est que loved in Germany. La consommation d'Istanbul
n'atteint même pas le tiers de celle de Berlin, capitale du döner. Sur les rives
du Bosphore, on commence même à trouver quelque peu insultant que les Allemands, quand
ils pensent à la culture turque, citent cette spécialité plutôt que le poète Nazim
Hikmet ou le romancier Yachar Kemal. Mais le fait que le döner soit pour certains
plus allemand que l' Eisbein [jambonneau], le Schweinsbraten [porc rôti] ou
la Kohlroulade [chou farci] ne représente-t-il pas un triomphe de l'Orient ?
Roland Mischke
Courrier International
23/08/2001, Numero 564