MERCAN DEDE

 

L'Orient électronique de Mercan Dede 

FESTIVAL Ouverture jeudi des 24es Transmusicales de Rennes, qui accueillent notamment un singulier flûtiste et DJ turc

Ce n'est pas seulement à une autre génération de musiciens turcs qu'appartient Mercan Dede, mais à un autre monde, où la modernité se définit à fronts renversés.
(DR.)

 
L'Orient électronique de Mercan Dede


Bertrand Dicale
[03 décembre 2002] - Le Figaro

C'est un joli conte oriental que raconte Mercan Dede. Lorsqu'il avait une quinzaine d'années, il voulait apprendre le ney, la longue flûte de roseau traditionnelle turque, qui à l'époque était tout à fait passée de mode. «Je m'en étais fabriqué une en plastique, que je n'osais montrer à personne. J'allais aux leçons d'un professeur sans jamais sortir ma flûte. Un jour, j'ai fini par la lui montrer. Au lieu de me dire qu'elle avait un son affreux – ce qui était le cas –, il m'a dit : «Ce ney est magnifique.» Je lui ai demandé où je pouvais acheter un vrai ney. Il m'a demandé de venir le voir six semaines plus tard, qu'il verrait s'il pouvait en trouver un. Il m'a dit le prix que cela coûterait, et c'était très, très, très cher. Je suis allé le voir à sa boutique – il était orfèvre – et il m'a répété qu'un bon ney était difficile à trouver, de revenir six semaines plus tard avec mon argent. Six fois, je suis allé le voir, et chaque fois il me renvoyait gentiment, en me disant qu'il n'avait rien pour moi. Et, un jour, des mois et des mois plus tard, il a sorti de sous son comptoir un ney qu'il m'a donné. Et il a refusé mon argent, en me disant d'acheter plutôt des livres pour mes études.»

Cette histoire ne date pas des temps de l'empire ottoman. Mercan Dede porte quelques piercings, se teint volontiers les cheveux et parle dans cet anglais coulant et synthétique qu'emploient tous les musiciens au monde. Jeudi soir (enfin, à 2 heures du matin), c'est donc autant un DJ qu'un musicien traditionnel oriental qui se produit au Liberté, aux Transmusicales de Rennes. «Sur scène, j'ai mes platines vinyle et CD, mes samplers, toute mon électronique, et puis mon ney et mes percussions.»

Ce n'est pas seulement à une autre génération de musiciens turcs qu'appartient Mercan Dede, mais à un autre monde, où la modernité se définit à fronts renversés, la mémoire et l'invention se découvrent des connivences neuves. Sur scène, son groupe comprend un percussionniste, un clarinettiste et un joueur de qanun turcs, et un batteur canadien. «Je suis un Oriental, je vis en Occident, je suis en contact avec d'incroyables musiciens des deux univers», résume-t-il. Installé au Canada mais en permanence connecté avec la Turquie, il ressemble à quelques autres de ces musiciens transfrontaliers qui ont changé le paysage sonore de ces dernières années, de l'anglo-égyptienne Natacha Atlas à l'immense Nusrat Fateh Ali Khan – Mercan Dede est toujours admiratif devant la collaboration du chanteur pakistanais avec Massive Attack sur Musst Musst.

«Je n'ai pas l'impression que mes maîtres m'aient appris à jouer des instruments. Ils m'ont surtout enseigné le soufisme», dit-il. Et son attachement aux musiques et outils électroniques doit beaucoup au fait que certaines musiques orientales ont longtemps été utilisées pour leurs vertus thérapeutiques. «Avec l'électronique, on rejoint cette tradition. A bas volume, les basses fréquences pénètrent l'abdomen et apaisent le système digestif. Je ne l'annonce pas pendant les concerts, et ce d'autant plus que les gens n'entendent pas ces fréquences, mais ils les sentent et cela leur fait du bien.»

Un pont entre les temps, une réactualisation d'anciens savoirs et d'anciennes pratiques ? Esthétiquement, Mercan Dede compte parmi les musiciens qui aujourd'hui chamboulent les catégories habituelles de l'électro et de la world music. Son dernier disque, Nar (chez Night & Day), enregistré entre Istanbul et Montréal, évoque autant les maqams classiques turcs qu'une ambient ensoleillée. Avec çà et là quelques jolis bruits familiers et doux à l'oreille : «Le son d'un ney en studio n'existe pas dans la nature. A l'origine, le berger joue dans la nature, avec le tintement des cloches des moutons, le vent, les oiseaux, les bruits de l'herbe. Et c'est ce que je peux faire avec l'électro : je ne fais pas entendre seulement l'instrument, mais aussi son environnement.»

 

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