C'est Turc! LES RETRAITES TURCS EN ALLEMAGNE

Allemagne : le défi des retraités turcs à Berlin

Libération
 

Publié le 21 février 2007

Allemagne : le défi des retraités turcs A Berlin, les vieux immigrés trouvent refuge dans des structures d’accueil ethniques

Par Nathalie VERSIEUX
Libération, mercredi 21 février 2007
Berlin de notre correspondante

Berlin. Alors les anciens sont restés aussi. Les gastarbeiter (« travailleurs invités »), surtout des Turcs, ont commencé à affluer à Berlin en 1961, après la construction du Mur, pour faire face au manque de main-d’oeuvre résultant de la partition de la ville. 135 000 retraités turcs vivent aujourd’hui en Allemagne et près de 10 % des 3,5 millions de Turcs résidant dans le pays ont plus de 60 ans. Leur état de santé est généralement moins bon que celui des Allemands de leur âge. Pourtant, à Berlin, par exemple, seuls 100 des quelque 3 000 retraités turcs qui ne peuvent plus vivre seuls sont placés en maison de retraite. Les autres sont soignés par des proches et la poignée de sociétés de soins à domicile spécialisées dans ce créneau.

« Honte ». « Il y a là un vide », constate Axel Hölzer, président de la société allemande de soins aux personnes âgées Marseille-Kliniken, Mkag. L’entreprise, associée à la communauté turque de Berlin (TGB), vient d’ouvrir la première maison de retraite spécifiquement destinée à la population turque.

« Tuvalet, Asansör, Cay Ocagi » : les panneaux du hall de l’établissement indiquent les toilettes, l’ascenseur ou la maison de thé dans la langue des pensionnaires. Peintures et tapis orientaux ornent le plafond ou le sol de la petite mosquée, des salles communes et des chambres. L’établissement, d’une capacité de 155 places, est situé en plein Kreuzberg, le quartier turc de Berlin. Türk Huzur Evi (« maison turque de bien-être ») a accueilli en janvier ses huit premiers pensionnaires. « Mettre un parent âgé en maison de retraite est encore vécu comme une honte, admet le secrétaire général de TGB, Celal Altun. Chaque membre de la communauté turque, quel que soit son niveau d’intégration, souhaite pouvoir s’occuper seul de ses vieux parents. Mais ce voeu est de plus en plus en contradiction avec la réalité... » Les femmes sont plus souvent contraintes de travailler, elles aussi. Le nombre des divorces augmente. De moins en moins de familles vivent à plusieurs générations sous le même toit.

« Les retraités turcs ont des besoins spécifiques, explique Celal Altun. Beaucoup parlent mal l’allemand et ont besoin qu’on s’occupe d’eux dans leur langue maternelle. Ils réclament du personnel masculin pour s’occuper des hommes et féminin pour les femmes. Leurs habitudes alimentaires sont différentes et la journée commence mal si les olives manquent à la table du petit déjeuner. Alcool, viande et graisse de porc sont, bien sûr, interdits. La viande doit être halal. La toilette du matin doit se faire avant la prière. » Des contraintes que les maisons de retraite classiques refusent souvent de prendre en compte. « La présence d’autres habitants de la même culture est un facteur primordial, poursuit Celal Altun. Personne ne veut s’installer dans un établissement où il se sent exclu. Ce n’est pas à 70 ans que vous allez commencer l’intégration d’un retraité turc ! »

Ethnique. L’ensemble de la profession suit avec intérêt l’expérience de Kreuzberg. Outre les réticences idéologiques, le projet se heurte à d’importantes contraintes financières. Les retraités turcs ont des revenus généralement inférieurs à la moyenne. Les initiateurs du projet misent donc sur un concept deux étoiles au lieu des trois étoiles des maisons de retraite allemandes classiques : chambres doubles, toilettes et douches à l’étage. Les pièces sont simples mais spacieuses. « Une personne dépendante reçoit entre 1 000 et 1 600 euros par mois de sa caisse d’assurance maladie, selon son degré de dépendance. La participation des familles sera de 1 200 euros par mois environ et les services sociaux peuvent intervenir pour ceux qui ne peuvent payer », estime Nejla Kaba-Retzlaff, la directrice de l’établissement.

Le concept de maison de soins « ethnique » a désormais le vent en poupe en Allemagne. Le centre de soins catholique Sainte-Marie de Kreuzberg envisage de réserver quelques étages aux communautés turque et arabe. Dix chambres du nouvel hôpital évangélique Waldkrankenhaus de Berlin seront réservées aux musulmans. Et aux portes de la ville, l’organisation Alpenland s’apprête à ouvrir une maison de retraite pour la communauté russe.

Source: http://www.tetedeturc.com/home/spip.php?article6591#