SOUFISME

 

Renaissance du soufisme

Sur la route qui mène en Afghanistan, les adeptes du mouvement qui prône la tolérance sont de plus en plus nombreux.

Olivier Weber (sur la route Paris-Kaboul)

Jamais le chanteur soufi, pourtant jovial, n'aura été aussi triste. De retour à Konya, étape turque sur la route de l'expédition scientifique Paris-Kaboul parrainée par Le Point et l'Unesco, Kudsi Erguner, maître du soufisme, la parole abondante et le geste toujours chaleureux, contemple avec consternation le fief des derviches tourneurs. Là même où Barrès voyait « les esprits qui s'enflamment ». La ville de Mevlana, plus connu en Occident sous le nom de Rumi, poète et mystique du XIIIe siècle, s'est grimée en lieu de spectacle du soufisme, cette pratique de l'islam qui est moins une doctrine qu'une philosophie de la vie nourrie d'amour et de dévotion. Les visiteurs y défilent en rangs serrés, sans précaution aucune.

Çà et là s'étalent maintes enseignes publicitaires qui transforment l'illustre mystique, jadis encensé par Goethe, en vulgaire suppôt du mercantilisme local : supermarché Mevlana, parking Mevlana, brochettes Mevlana...

Musicien aux 90 CD connu dans le monde entier, Kudsi Erguner, compositeur de musique pour Peter Brook, Costa-Gavras ou Martin Scorsese, peste contre la récupération du soufisme par le gouvernement turc. « D'abord, le régime a interdit le mouvement derviche. Puis il l'a transformé en folklore. »

Et pourtant ! Le soufisme renaît bel et bien. Sur cette route qui mène en Afghanistan, où Rumi a vu le jour, les adeptes du mouvement, qui prône l'ouverture à l'autre, sont de plus en plus nombreux. Dans les montagnes de Cappadoce, les fidèles de l'autre grand mouvement derviche, les bektachis, célèbrent leur festival annuel, quatre jours d'appel à la tolérance. « L'essentiel, ce n'est pas de prier à la mosquée, mais de parler d'amour autour de soi », lance une fille en débardeur, tatouage sur l'épaule. Formidable dénonciation de la bigoterie, les confréries soufies, de la Turquie à l'Afghanistan en passant par l'Iran, évoquent la douceur et le pardon pour contrer le fanatisme. « Le soufisme, c'est un rempart contre l'islamisme intolérant », estime le réalisateur afghan Barmak Akram, membre de l'expédition. Vénérés par Nerval, les soufis ont longtemps contenu l'islam fondamentaliste. Le réveil de leurs héritiers augure peut-être une nouvelle pratique de la dévotion

 

Le Point 29/08/03 - N°1615 - Page 40