SUREYYA AYHAN

 

Süreyya Ayhan veut savourer sa nouvelle gloire de "femme volante"
 
La jeune Turque, championne d'Europe 2002, devait tenter, dimanche 31  août, de confirmer sa récente mainmise sur le demi-fond féminin.

Ankara (Turquie) correspondance

Munich, championnats d'Europe d'athlétisme, le 11 août 2002, 16 h 57. Les concurrentes de la finale du 1 500 m s'apprêtent à prendre leurs marques. La caméra s'attarde sur la Roumaine Gabriela Szabo, reine incontestée de la discipline depuis près d'une décennie. A ses côtés, une athlète turque méconnue, Süreyya Ayhan (23 ans), apparaît furtivement à l'écran.

Eloignée des stades pendant six mois pour cause de blessure, la jeune femme n'a pas de "meilleure performance de la saison" à faire valoir. Pour tout palmarès, elle ne peut faire état que d'une participation aux demi-finales des Jeux olympiques de Sydney, en 2000, d'une 8e place aux championnats du monde d'Edmonton et d'une médaille d'or aux Jeux mondiaux universitaires, en 2001.

Dès le départ de la course, c'est pourtant elle qui se place à la tête du peloton et lui impose un rythme d'enfer. A la surprise générale, elle ne faiblit pas et résiste au retour de la grande Szabo. Elle décroche la victoire en 3 min 58 s 79. Une championne est née, qui offre à l'athlétisme turc le premier titre européen de son histoire.

Un an après son exploit de Munich et quelques compétitions plus tard, Süreyya Ayhan a définitivement quitté les rangs des sportifs anonymes. Elle apparaît comme la favorite de la finale du 1 500 m des Mondiaux de Paris, dimanche 31 août. En cinq rencontres internationales, la coureuse turque, sacrée meilleure athlète européenne 2002 par l'Association européenne d'athlétisme, a signé trois meilleures performances mondiales de l'année et son chrono réussi en août à Zurich (3 min 55 s 60) est le meilleur jamais réalisé depuis six ans.

Que ce soit sous le maillot européen en Coupe du monde, à l'automne 2002, ou sous les couleurs turques lors de la Coupe d'Europe catégorie B, en juin 2003, la championne a pris l'habitude de distancer ses adversaires de plusieurs dizaines de mètres sur la ligne d'arrivée. Mercredi 27 août, elle a remporté sa série qualificative en toute décontraction (4 min 8 s 12) et elle a franchi sans difficulté le cap des demi-finales, vendredi.

FIGURE DE MODÈLE DE RÉUSSITE

Dans son pays, Süreyya Ayhan fait aujourd'hui figure de modèle de réussite, de symbole d'une "Turquie qui gagne". Les médias ne tarissent plus d'éloges pour cette jeune femme d'origine modeste, fille d'un employé de la Compagnie nationale d'électricité et ancien champion local de cross-country. Elle a grandi dans la sous-préfecture de Korgun (à 150 km au nord d'Ankara), où elle a su gravir à la seule force de sa volonté les marches de l'excellence.

Après des années passées à manger de la vache enragée, la petite fille, qui battait les garçons du village à la course lors des fêtes nationales, savoure comme une douce revanche cette gloire nouvelle. Au sein de l'administration de la jeunesse et des sports, Süreyya Ayhan continue aujourd'hui encore de percevoir le salaire mensuel d'un simple "fonctionnaire spécialiste", soit 700 millions de livres turques (440 euros).

Depuis Munich, la donne a cependant radicalement changé : désormais, les sponsors affluent vers l'athlétisme, une discipline jusque-là réservée aux rejetons de la grande bourgeoisie urbaine. " Maintenant, tout le monde s'intéresse à nous, le ministre des sports et même le premier ministre, commente Yücel Kop. Le gouvernement a construit de nouvelles pistes, relevé le budget de notre fédération. Des parents viennent nous voir avec leurs gamins pour nous dire : "Celui-là sera athlète"."

Celle que toute la Turquie surnomme l'"uçan kadin" - la "femme volante" - se réjouit surtout de voir la presse, qui un an plus tôt la couvrait d'opprobre, lui tresser aujourd'hui des couronnes de lauriers. Car, avant de découvrir la championne, le public turc ne connaissait de Süreyya que sa liaison avec son entraîneur, un homme marié et père de deux enfants. L'affaire avait défrayé pendant de longs mois la chronique, au point de remonter jusqu'à l'Assemblée nationale, où le député islamiste Zeki Çelik a sommé le ministre des sports de l'époque, Fikret Ünlü, de lancer une enquête administrative.

NE PAS FAIRE DÉFAUT AU PUBLIC

" Heureusement, le ministre nous a soutenus et a enterré l'affaire, raconte Süreyya Ayhan. De mon côté, j'ai surmonté la crise en m'enfermant dans mon entraînement, sinon je n'aurais jamais pu tenir." A l'issue de sa finale des championnats d'Europe, l'athlète a mis un terme à la controverse : " Aujourd'hui, j'ai couru contre mes rivales, mais aussi contre les rumeurs et les calomnies. Je suis fière de les avoir toutes battues."

Passée des entrefilets nauséeux de la page des faits divers aux titres de "une", Süreyya assume désormais sans complexe son rôle de modèle. Pour elle, il n'est pas question de faire défaut à son public : " L'Australie nous a déjà proposé de nous expatrier, et je suppose qu'aujourd'hui n'importe quel pays serait prêt à nous accueillir. Mais je ne peux pas abandonner ma patrie comme ça. Il faut que malgré les catastrophes naturelles, malgré les crises à répétition, les gens puissent continuer à croire en eux-mêmes. Je suis là pour ça, pour leur donner de l'espoir, leur montrer qu'à force de volonté on peut réussir." Telle sera son ambition dimanche soir au Stade de France.

Nicolas Cheviron

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU MONDE DU 31.08.03
 

Note de BBT : Sürreya a fini seconde de la course, dimanche, et empoché ainsi la seule médaille de la Turquie dans ces championnats du monde ; une médaille aux reflets d'argent...