GERALDINE GARÇON

Voyage illustré avec Pierre Loti

Dans cette rubrique, nous vous présentons le carnet de voyage de Géraldine Garçon intitulé: "Voyage en Turquie avec Pierre Loti", édité en juin 2006 par 'Magellan et Compagnie'.

 

Géraldine Garçon

Ap
rès une adolescence passée à Santiago du Chili, Géraldine file à Paris suivre des études d'art à l'école nationale supérieure des arts décoratifs.

Aujourd'hui graveuse au sein de l'association pour l'estampe et l'art populaire, elle dessine en voyage comme dans sa propre ville puis tire de ses carnets la source de son travail de graveuse.

 

"Voyage en Turquie avec Pierre LOTI"

En Aout 2005, Géraldine Garçon est partie sur les traces du poète Pierre Loti.
Croquant la vie, les paysages, et les détails du quotidien, elle a ainsi constitué un recueil sur cette Turquie mal connue, au carrefour de l'Europe et de l'Asie. De nombreuses citations issues de plusieurs textes de Loti enrichissent les aquarelles et les dessins au trait de cette jeune artiste.
"Voyage en Turquie avec Pierre Loti"
MAGELLAN & Cie,
34 rue Ramey 75018 Paris
Tél : 01 53 28 03 05
http://www.editions-magellan.com 
 

 


Au sujet de Pierre Loti: Préface de Danièle Masse

"Pierre Loti a 26 ans quand il découvre l'Empire ottoman pour la première fois, à Salonique en mai 1876. Fraîchement émoulu de l'Ecole navale, il avait fait un bref séjour à Smyrne en février 1870, au cours de son premier voyage en qualité d'aspirant deuxième classe sur le Jean-Bart. De la future
Izmir, il n'avait vu qu’ « un amas malpropre de maisons bâties sans ordre et sans cachet », impression qui n'annonçait en rien la passion que Julien Viaud -il prendra le nom de Pierre Loti plus tard- allait vouer à l'Orient jusqu'à la fin de sa vie.
 
A Salonique, il croise le regard d'une jeune femme derrière les barreaux de fer d'un yali (maison turque en bois), rencontre qui va bouleverser sa personnalité mais aussi être à l'origine de sa création littéraire puisque l'idylle deviendra premier roman sous le titre d'Aziyadé, paru en 1879.
La belle se nomme en réalité Kadidjé, elle est Circassienne, concubine d'un vieux commerçant turc qui la tient confinée dans son harem. Sans les yeux verts de Kadidjé-Aziyadé, Loti aurait-il vécu son "rêve oriental"? C'est elle en tous cas qui détient la clé de tous ses fantasmes, qui conjugue
 « exotisme avec érotisme » et qui l'initie à la découverte d’Istanbul, capitale de l'Empire ottoman à cheval sur l'Asie et l'Europe.
 
 En mars 1877, Loti est rappelé en Europe mais les mois passés à Istanbul l'ont profondément transformé. Il a appris à parler et à vivre comme un Turc et son âme est tout imprégnée de « vieil Orient ». Il n'aura alors de cesse d'y revenir pour retrouver Kadidjé qui meurt trois ans après leur séparation. Loti n'apprend sa disparition qu'en 1887, lors de son second voyage en Turquie. Commence alors un pèlerinage sur la tombe de la femme aimée et dans la "cité de son inconscient", répété six fois, de 1887 à 1913. Ces séjours donneront lieu à l'écriture de quatre chefs-d’œuvre : Fantôme d'Orient, Constantinople fin de siècle, Les Désenchantés et Suprêmes visions d'Orient. Dans ces ouvres turques, Loti décline la nostalgie d'un amour tragique, l'angoisse du temps qui fuit mais il se révèle également comme le dernier témoin d'un Empire ottoman à l'agonie dont il restera l'ardent défenseur jusqu'à sa mort."

 

CHAPITRE 1: Istanbul

« Déjà voici les kiosques impériaux et les grands harems; puis la série des palais tout blancs aux quais de marbre. Et enfin, là-bas et là-haut, sortant tout à coup d'une brume qui se déchire, la silhouette incomparable de Stamboul.
Oh ! Stamboul est là! bien réel, très vite rapproché maintenant, sous un éclairage net et banal, ramené à son apparence la plus ordinaire, que dix ans de rêve m'avaient un peu changée, mais presque aussi beau pourtant que dans mon souvenir. Et je m'étonne d'être de plus en plus tranquille d'âme, causant même avec les compagnons de route que le hasard m'a donnés, et leur nommant comme un guide les palais et les mosquées.
Le mouillage est bruyant en milieu du fouillis des paquebots, des voiliers, portant tous les pavillons d'Europe. Et aussitôt commence l'invasion furieuse des bateliers, des douaniers et des portefaix; cent caïques nous prennent à l'assaut, et tous ces gens, qui montent à bord comme une marée, parlent et crient dans toutes les langues du Levant. Oh ! Je connais si bien cela, ce brouhaha des arrivées, ces voix, ces intonations, ces visages; et cet amas de navires autour de nous, et ces fumées noires - au-dessus desquelles montent, là-bas dans le ciel clair, les dômes des saintes mosquées! Je me mêle moi-même à tout ce bruit; d'ailleurs les mots turcs, même les plus oubliés, me reviennent tous ensemble. Avec des bateliers pour mon passage, avec des portefaix pour mes malles, je discute des questions qui me sont absolument indifférentes, par besoin de m'agiter et de parler aussi. Jusque dans la barque, où je suis enfin installé avec mes valises, je continue je ne sais quel étonnant marchandage, - et ainsi presque sans émotion,  à part un tremblement peut-être quand mon pied s'y pose - , je me trouve à terre, sur le quai de Constantinople. »

Pierre Loti,
Fantôme d'Orient

 

CHAPITRE 2: Au marché

« C'est que Constantinople est la seule ville du monde où j'ai vraiment été mêlé à la vie du peule,- à la vie de ce peule oriental, bruyant, coloré, pittoresque, mais besogneux, pauvre, actif à mille petits métiers, à mille petits brocantages. Mon compagnon de chaque jour, Achmet, était lui-même un enfant de ce peuple-là, au courant des moindres rouages de la vie laborieuse, habitué à se tirer d'affaire avec presque rien, et m'enseignant sa manière, me rendant homme du peuple comme lui à certaines heures. Il est vrai, j'étais pauvre, moi aussi, à cette époque, et bien en peine quelquefois de soutenir mon rôle d'Hassam... Ce marché que je traverse aujourd'hui d'un pas dégagé et rapide, sentant peser la ceinture de cuir où j'ai fait coudre- un peu à la façon des matelots- ma réserve de pièces d'or, oh! ce marché, tout ce  qu'il me rappelle de misères, gaiement endurées à cause d'elle, de marchandages timides, de demandes de crédit pour des sommes qui à présent me font sourire... Et, sous le costume turc, ces choses me semblaient acceptables, m'amusaient presque, en me donnant davantage l'impression d'être sorti de moi-même et devenu quelqu'un des simples qui m'entouraient. Il y avait tant d'enfantillage encore dans ma vie de ce temps-là! »

Pierre Loti,
Fantôme d'Orient

 

CHAPITRE 3: Vue de ma terrasse

« Traversant cette mêlée de choses en marche, de continuels et bruyants bateaux à roues, du matin au soir, transportent entre les échelles d'Asie et les échelles d'Europe les hommes au fez rouge et les dames au visage caché. De droite et de gauche, le long de ce Bosphore, vingt kilomètres de maisons, dans les jardins et les arbres, regardent, par leurs myriades de fenêtres, ces empressements qui ne cessent jamais sur l'eau verte ou bleue. Fenêtres libres, ou fenêtres si grillagées des impénétrables harems. Maisons de tous les temps et de tous les styles. »

Pierre Loti,
Les désenchantées

 

CHAPITRE 4: Les quartiers populaires de l'Ouest

« Ah! de vieux quartiers turcs maintenant, - des petites ruelles tortueuses, où je commence à me retrouver un peu chez moi... Nous venons de descendre dans un bas-fond qui m'était même assez familier jadis... et derrière ce tournant là-bas, il doit y avoir un antique couvent de derviches hurleurs, lugubre avec ses catafalques qu'on apercevait à travers ses fenêtres grillées, effrayant quand on passait le soir... Oui, il est là encore; sans ralentir mon pas, je jette un coup d'oeil entre les barreaux de fer des fenêtres : toujours les mêmes vieux cercueils, couverts des mêmes vieux châles et coiffés des mêmes vieux turbans, le tout à peine plus mangé qu'autrefois par la moisissure et les vers. C'est étrange que ces choses de la mort, parce qu'elles sont demeurées telles quelles, ravivent en moi précisément des souvenirs de printemps et d'amour. »

Pierre Loti,
Fantôme d'Orient

 

 

CHAPITRE 5: Vue du pont de Galata

« D'abord, je traverse au grand trot les rues de Galata, pleines de lumières, de cris et de musique, ensuite, à l'entrée du pont qui réunit les deux villes, au point où commence l'ombre et le solennel silence, je m'arrête, suivant la coutume, pour faire allumer la lanterne qu'un coureur portera devant moi pendant ma promenade sur l'autre rive, et bientôt, le pont franchi, me voici engagé dans l'immense Stamboul, noir, fermé et mort. Pendant le jour, retenu ailleurs, je n'avais fait que l'apercevoir de loin et, après ces dix années, j'y arrive en pleine nuit, absolument comme le soir où j'y étais venu pour la première fois de ma vie, pendant une fête de Baïram »

Pierre Loti,
Fantôme d'Orient 

 

CHAPITRE 6: Narghilés

« Et Stamboul, dans l'air devenu sec et limpide, reprenait son indicible langueur orientale; le peuple turc, rêveur et contemplatif, recommençait de vivre dehors, assis devant les milliers de petits cafés silencieux, autour des saintes mosquées, près des fontaines, sous les treilles aux pampres frais, sous les glycines, sous les platanes; des narghilés par myriades, le long des rues, exhalaient leur fumée enjôleuse. »

Pierre Loti,
Les Désenchantées