C'est Turc! L'ALLIANCE FRANCO-TURQUE : Quand Le Sultan turc vient au secours du Roi français


Cette lettre est la réponse de Soliman en 1526 à la demande d'aide de François 1er emprisonné par Charles-Quint après la défaite de Pavie.


Magnifique exhortation à tenir bon :

"Lui (Dieu) est élevé, le riche, le généreux, le secourable
Moi qui suis, par la grâce de celui dont la puissance est glorifiée et dont la parole est exaltée, par les miracles sacrés de Mohammed (que sur lui soient la bénédiction de Dieu et le salut), soleil du ciel de la prophétie, étoile de la constellation de l'apostolat, chef de la troupe des prophètes, guide de la cohorte des élus, par la coopération des âmes saintes de ses quatre amis Aboubekr, Omar, Osman et Ali (que la satisfaction de Dieu très-haut soit sur eux tous), ainsi que tous les favoris de Dieu ;
moi, dis-je, qui suis le sultan des sultans, le souverain des souverains, le distributeur des couronnes aux monarques de la surface du globe, l'ombre de Dieu sur la terre, le sultan et le padichah de la mer Blanche, de la mer Noire, de la Romélie, de l'Anatolie, de la Caramanie, du pays de Roum, de Zulcadrié, du Diarbekr, du Curdistan, de l'Azerbaïdjan, de la Perse, de Damas, d'Alep, du Caire, de la Mecque, de Médine, de Jérusalem, de toute l'Arabie, de l'Yemen et de plusieurs autres contrées que mes nobles aïeux et mes illustres ancêtres (que Dieu illumine leurs tombeaux) conquirent par la force de leurs armes, et que mon auguste majesté a également conquises avec mon glaive flamboyant et mon sabre victorieux, sultan Suleiman-Khan, fils de sultan Sélim-Khan, fils de sultan Bayezid-Khan.

Toi qui es François, roy du pays de France, vous avez envoyé une lettre à ma Porte, asile des souverains, par votre fidèle agent Frankipan [L'ambassadeur Frangipani], vous lui avez aussi recommandé quelques communications verbales ; vous avez fait savoir que l'ennemi s'est emparé de votre pays, et que vous êtes actuellement en prison, et vous avez demandé ici aide et secours pour votre délivrance. Tout ce que vous avez dit ayant été exposé au pied de mon trône, refuge du monde, ma science impériale l'a embrassé en détail, et j'en ai pris une connaissance complète.

Il n'est pas étonnant que des empereurs soient défaits et deviennent prisonniers. Prenez donc courage, et ne vous laissez pas abattre. Nos glorieux ancêtres et nos illustres aïeux (que Dieu illumine leur tombeau) n'ont jamais cessé de faire la guerre pour repousser l'ennemi et conquérir des pays. Nous aussi nous avons marché sur leurs traces. Nous avons conquis en tout temps des provinces et des citadelles fortes et d'un difficile accès. Nuit et jour notre cheval est sellé et notre sabre est ceint.
Que Dieu Très-Haut facilite le bien ! A quelque objet que s'attache sa volonté, qu'elle soit exécutée !

Du reste, en interrogeant votre susdit agent sur les affaires et les nouvelles, vous en serez informé. Sachez-le ainsi.
"

Ecrit au commencement de la lune de rebiul-akhir 932 (15-24 février 1526), à la résidence de la capitale de l'empire, Constantinople le bien gardé.

extrait de E. Charrière, Négociations de la France dans le Levant, Paris, Imprimerie nationale, 1858

Cette lettre a été reproduite et traduite par M. Jouannin, dans l'ouvrage d'Artaud de Montor, Machiavel, son génie et ses erreurs publié en 1833, et revue par Annibal Dantan pour l'ouvrage de Charrère.
Elle appartenait à la Bibliothèque du Roi, fonds de Bétune, n° 8507 et fait partie du recueil de lettres autographes et d'autres de François Ier, des papes Paul III et Clément VII, de Henri VIII..., des cardinaux Farnèse et de Guise, c'est un manuscrit in-folio aux armes de Sully relié en maroquin rouge.

 


 

Autre lettre de Süleyman le Magnifique

 

Lettre de Soliman le Magnifique à François Ier

  • Titre / dénomination : Lettre de Soliman le Magnifique à François Ier
  • Lieu de production : Istanbul, Turquie
  • Date / période : 6 avril 1536
  • Matériaux et techniques : Papier collé sur toile ; encre noire avec traces de poudre d’or, peinture dorée
  • Dimensions : L. 2,04 m ; l. 35,5 cm
  • Ville de conservation : Paris
  • Lieu de conservation : Bibliothèque nationale de France
  • Numéro d'inventaire : Ms. or. Suppl. turc 822

Ce document, rédigé sur un long rouleau de papier entoilé, fait partie du groupe de lettres adressées par le sultan Soliman au roi de France François Ier entre 1525 et 1543. Le sultan entretenait aussi une correspondance avec différents éminents interlocuteurs européens, reflet du rôle de l’empire ottoman dans le Bassin méditerranéen au XVIesiècle. Dans le cadre de ces échanges diplomatiques, lesdrogmani (interprètes) jouaient un rôle de premier plan[1]. Avec la France, les sujets de discussion furent variés : alliance commune contre Charles Quint, privilèges commerciaux, conquêtes militaires, modalités des relations diplomatiques à travers les ambassadeurs.

L’année de rédaction de cette lettre, 1536, correspond à la période où la première Capitulation a été conclue entre le vizir Ibrâhîm Pasha et l’ambassadeur français Jean de la Forêt. Les Français furent les premiers à bénéficier de ces accords commerciaux fixant les modalités d’établissement des ressortissants étrangers dans l’empire ottoman[2].

La lettre débute par une formule d’invocation et l’énoncé de la titulature du sultan (quatre lignes dorées en thuluth). Suit le contenu même, en écriture dîwânî noire. Le bilan de la campagne victorieuse d’Irak contre les Safavides est rapporté au roi de France. S’ensuit une partie consacrée à la réception de l’ambassadeur Jean de la Forêt par le diwânet à l’installation d’un ambassadeur permanent à Istanbul. Le monogramme impérial (tughra) enluminé en bleu et doré est apposé entre les deux parties du texte. Le nom du sultan rédigé en gros caractères naskhî vient occuper un large espace au-dessus des deux dernières lignes du texte.

L’administration, de plus en plus organisée sous le règne de Soliman[3], assiste le pouvoir central incarné par le sultan et le diwân, conseil suprême de l’État dirigé par le Grand Vizir. Une importante bureaucratie est au service de la chancellerie et la rédaction des documents officiels était confiée à des secrétaires oeuvrant par spécialité. Les lettres sont toujours rédigées selon le même plan : invocation, titulature, contenu.

Les styles thuluth et naskhî appartiennent aux six styles de calligraphie (Aklâm-i sitta) apparus après la réforme mise en œuvre à l’époque abbasside, abondamment utilisés dans la calligraphie ottomane notamment dans les corans. L’écriture dîwânî, avec ses lettres serrées pour éviter les contrefaçons, est particulièrement utilisée pour les documents officiels.

L’élément le plus frappant de ce document est la tughra, qui ressort spectaculairement de la feuille. Elle comporte les lettres principales du nom du sultan, son titre, la kunya (« père de ») et la formule « toujours victorieux ». Elle est réalisée par un secrétaire spécialisé (tugrakes), d’après un dessin du nisanci, un membre titulaire du diwân. L’enluminure y apparaît dès le XVIe siècle pour les documents importants. Ici, le sere[4] bleu et or est décoré d’enroulements végétaux dorés ornés de petits motifs foliés et fleuris complétés par un semis de motifs en « s » évoquant des nuages tchi. On reconnaît le répertoire utilisé dans les ateliers ottomans dès le second quart du XVIesiècle, et qui apparaît abondamment sur la céramique d’Iznik. Le style « tughra » désigne d’ailleurs une série de pièces ornées de motifs concentriques bleus agrémentés de feuilles et de fleurs[5]. Quant aux nuages tchi d’origine chinoise, abondamment représentés dans l’art timuride au XVe siècle[6], ils sont présents sur divers supports des arts décoratifs ottomans : céramique de la première moitié du XVIe siècle[7], textiles[8], reliures[9],...

Plusieurs lettres ottomanes sont conservées dans les collections des pays qui entretinrent au XVIe siècle des rapports diplomatiques avec l’Empire.

BIBLIOGRAPHIE DE L'OBJET

Soliman le magnifique, (cat. exp., Paris, Galeries nationales du Grand Palais, 1990), Paris, RMN, 1990, p. 45, n° 24.

 

BIBLIOGRAHIE DE REFERENCE

Bittar,T., Soliman. L’empire magnifique, Paris, Gallimard Découvertes, 1994, p. 36-37.

Nadir, H.A. (dir.), Imperial ottoman Fermans, (cat. exp., Istanbul, Türk ve Islam Eserleri Müzesi, 1986), Istanbul, Ministère de la culture et du tourisme, 1986, p. 7-21.

Viré, F., «Khatt», in : Encyclopédie de l’Islam, nouvelle édition, vol. IV, Leyde, Paris, E.J. Brill, Maisonneuve & Larose, 1978, p. 1156.

Calligraphies ottomanes, Collection du musée Sakip Sabanci, Université Sabanci, Istanbul, (cat. exp., Paris, musée du Louvre, 2000), Paris, RMN, 2000, p. 15-22, p. 37-38.

 

NOTE

[1] Des courriers royaux leur étaient parfois directement adressés : Lettre de François 1er au grand drogman « Janus Bei », Compiègne, 28 décembre 1546, Paris, Bibliothèque nationale de France, Ms. Occid. N.a.f. 7974, f. 1-2.

[2] Ces accords furent ratifiés en 1569 sous le règne de Sélim II (r. 1566-1574). Des capitulations furent accordées à d’autres nations européennes : en 1540 à Venise, à la fin du XVIe à l’Angleterre, en 1612 à la Hollande.

[3] Il était appelé par les Turcs non pas « Le Magnifique » comme en Occident, mais « Le Législateur » (Qanûni).

[4] Le sere désigne le groupe de lettres formant le nom. Il est complété par les beyze (larges boucles à gauche du nom), les tug (hampes allongées), et les kol (terminaison des beyze). 

[5] Tondino, Turquie, Iznik, 1530-1540, céramique siliceuse à décor peint sur engobe siliceux et sous glaçure plombifère, Lyon, Musée des Beaux-Arts, inv. D 167.

[6] Shâhnâmeh de Sultan Ibrahim, paysage avec animaux sur fond d’or et d’argent, folio 3a, Iran, Chiraz, vers 1435, Oxford, Bodleian Library, Ouseley, Add.176.

[7] Lampe de mosquée, Turquie, Iznik, v. 1512, Istanbul, Musée du Cinili Kiosk, inv. 41/2.

[8] Panneau à décor de mandorles et de nuages chinois, soie et filé or, Turquie, XVIes., Paris,  Musée des Arts décoratifs, inv. 13765.

[9] Reliure de Coran, Turquie, v. 1530-1540, Istanbul, Bibliothèque du Topkapi Sarayi Müzesi, inv. EH 77.


1536: l’alliance profane du Franc et du Turc

Le Temps (Suisse), 15 juillet 2009
Sylvie Arsever

François Ier et Soliman le Magnifique ont un ennemi commun: Charles Quint. Ils se rapprochent pour le combattre – sans grand succès

«Le roi de France a contacté le Voïvode et le Turc par un Espagnol du nom de Rincon qui lui a demandé de faire la guerre à l’empereur en Italie et promis d’être à leur côté.» Cela faisait quelque temps que le bruit courait mais cette note envoyée le 18 juin 1530 à Charles Quint par son ambassadeur à Venise donne corps au soupçon. François Ier, qui conteste à l’empereur le leadership sur l’Italie du Nord, a osé. Il s’est allié secrètement contre lui avec le Grand Seigneur ottoman, Soliman.

La nouvelle est si scandaleuse qu’elle ne sera confirmée que sous la forme d’un accord commercial – les capitulations, rendues publiques en 1536. Mais personne n’est dupe: la nouvelle alliance a pour elle la logique des rapports de force. Et les valeurs religieuses qui s’y opposent sont, en ce milieu du XVIe siècle, sérieusement chahutées.

Jacques Lefèvre d’Etaples en France, Erasme à Bâle se sont fait les apôtres d’une lecture critique des écritures qui bat son plein dans l’entourage de la sœur de François, Marguerite de Navarre. Martin Luther a été excommunié neuf ans plus tôt, Jean Calvin s’éloigne toujours plus de l’Eglise. A la tête de cette dernière, Clément VII, né Jules de Médicis, protège l’astronome héliocentriste Nicolas Copernic et mène, entre le roi et l’empereur, une politique aussi sinueuse que terre à terre. En Angleterre, Henri VIII travaille à se débarrasser de sa première épouse, Catherine d’Aragon, pour épouser Ann Boleyn, qui attend un enfant de lui.

C’est Louise de Savoie, la mère de François, qui a fait le premier geste. C’était cinq ans plus tôt et la situation était désespérée: le roi, tombé à la bataille de Pavie, était retenu prisonnier par Charles, le royaume menacé. La reine mère a établi des contacts tous azimuts – y compris à Istanbul, où son deuxième envoyé est arrivé au mois de novembre 1525, le premier ayant été assassiné en cours de route.

Soliman, le dixième sultan ottoman, est l’un des plus brillants. Il règne sur un empire considérable, dont le centre de gravité s’est déplacé vers l’Est avec les conquêtes de son prédécesseur Selim Ier en Egypte et en Syrie. Mais il avance aussi en Europe. Il a pris Belgrade en 1521 et menace la Hongrie, qui va tomber dans ses mains à la bataille de Mohacs en août 1526. Son homme sur place est Jean Zapolya, le Voïvode de la note diplomatique.

Celui que les Occidentaux appellent le Magnifique et ses sujets le Législateur a entrepris un vaste travail de codification de la pra tique juridique de ses prédécesseurs. Fidèle en principe à la charia, le corps de lois qu’il laissera à sa mort réorganise l’impôt à l’avantage des plus faibles, le rayas, parmi lesquels figurent de nombreux chrétiens. Il favorise le recours à l’amende dans le droit pénal plutôt que les châtiments corporels.

Soliman se pose aussi comme protecteur des juifs, dans son propre empire comme face à la chrétienté. Admirateur, dit-on, d’Alexandre, il ambitionne de lui succéder dans le rôle d’empereur universel – un rôle que l’ampleur de ses possessions justifierait mais qui lui est contesté par un autre candidat au titre, Charles Quint. Héritier de la couronne d’Espagne par sa mère Jeanne la Folle et des possessions des Habsbourg aux Pays-Bas et en Autriche par son père, il a été élu au trône du Saint-Empire en 1519. Le soleil, dit-on, ne se couche jamais sur ses terres, qui se prolongent au-delà de l’Atlantique et qu’il est bien décidé à étendre encore.

Les zones d’influence des deux empereurs, le Turc et l’Espagnol, se heurtent en Hongrie et en Méditerranée. Le premier ne peut donc voir que d’un bon œil la perspective d’un appui français à ses appétits. «Nuit et jour, notre cheval est scellé et notre sabre est ceint», fait-il savoir en exhortant François à garder courage.

Le rapprochement, pour Soliman, n’a sans doute pas que des vertus tactiques. L’appel de la reine mère l’a peut-être flatté. Et il rompt l’isolement auquel le condamne son statut de souverain musulman dans un jeu stratégique dominé par des princes chrétiens. Qui qu’il en soit, il fera preuve d’une remarquable patience face aux hésitations de François qu’il ne va pas tarder à appeler «mon frère».

Car le roi hésite. Libéré en 1526, il a fait très provisoirement la paix avec Charles, dont il vient d’épouser en secondes noces la sœur, Eléonore d’Autriche. Il continue certes de lorgner avec insistance sur l’Italie. Mais tout se passe comme si l’énormité de son geste le retenait. Il faut dire que son entourage est divisé. L’influent connétable de Montmorency, notamment, ne relâchera jamais son opposition à l’alliance turque.

Dans ces conditions, cette dernière s’apparente rapidement à un impénétrable jeu de dupes émaillé de rendez-vous manqués – ou soigneusement évités. Un jeu dans lequel le roi et le sultan ne sont pas les seuls à guerroyer en eaux troubles.

La Méditerranée est dominée par deux capitaines rivaux, le condottiere génois Andrea Doria et le corsaire Hayreddine, dit Barberousse. Le premier quitte abrup tement le service de François pour se mettre à celui de Charles en 1528, le second navigue sous la bannière ottomane. Mais l’un et l’autre conservent un sens aigu de leurs intérêts propres qui les rend très peu contrôlables par leurs maîtres respectifs. Et ces intérêts commandent notamment à chacun d’eux de ne pas éliminer en l’autre un adversaire qui fait monter sa propre valeur marchande.

Barberousse représente le visage le plus redouté du Turc. Au fil de ses campagnes, il rançonne les voyageurs et les populations des littoraux, pratiquant le pillage et le trafic d’esclaves. Or c’est lui qu’on verra surtout en France: à Toulon, où il vient en grande pompe en été 1533 apporter au roi, en signe d’hommage, un lion de l’Atlas et quelques centaines d’esclaves chrétiens. A Nice, alors savoyarde, où il met le siège en 1543, avant de s’effacer, la ville à peine conquise, devant la flotte d’Andrea Doria. Et à Toulon de nouveau, où il exige de passer l’hiver suivant, ponctionnant lourdement le trésor royal et rançonnant, pour faire bonne mesure, les côtes environnantes.

Ces épisodes écornent d’autant plus l’image de la France qu’à l’occasion, les vaisseaux que le roi envoie pour prêter main-forte au corsaire s’associent à ses exactions. En revanche, les plans plusieurs fois rediscutés pour une attaque conjointe de l’Italie, le sultan par le sud et le roi par le Nnord, ne se concrétiseront jamais.

En 1533, Hayreddine préfère ravager les Baléares que venir en aide à la Provence, attaquée par Charles. En 1537, François part guerroyer en Picardie quand Soliman arrive en Dalmatie pour attaquer Naples. Le sultan, dont les armées sont ravagées par la peste, se résout à un siège, vain, contre Corfou alors possession vénitienne.

Le climat, à ce moment, a changé à Rome. Paul III, qui a succédé à Clément VII en 1534, a une vision moins profane de la politique: il veut réunir une croisade qui freinera la progression ottomane en Europe orientale (où Soliman est arrivé jusqu’aux portes de Vienne en 1529), sécurisera la Méditerranée et, pourquoi pas, fera retomber Constantinople en mains chrétiennes. Pour ça, il entreprend de réconcilier François et Charles.

L’expédition qu’il réussit à mettre sur pied en 1538 est toutefois aussi encombrée d’arrière-pensées que l’alliance entre le roi et le sultan. Charles Quint, notamment, ne s’y associe que dans le but de s’imposer définitivement en Italie contre ses concurrents chrétiens. Le résultat de cette pantalonnade est la cuisante défaite de Preveza, dans le nord de la Grèce, d’où seul l’empereur tire son épingle du jeu: il a traité en sous-main avec Barberousse pour que ce dernier s’en prenne en priorité à la flotte vénitienne.

Si l’année 1539 s’avère un peu accidentée pour les intérêts français à Istanbul, la Croisade ne met pas fin à des relations dont le sultan a bien compris qu’elles ne pouvaient être que secrètes. Mais elles resteront sans fruit militaire jusqu’à la mort de François en 1547. Et c’est à travers leur face officielle, celle des Capitulations, qu’elles auront le plus grand impact sur la suite des ­relations entre la France et l’Empire ottoman.

Ce traité est construit sur un modèle déjà utilisé à Byzance et dans l’Empire arabe des premiers siècles. Il favorise l’accès des commerçants français aux échelles du Levant (les ports sous domination ottomane) et leur reconnaît, outre le droit de résidence, celui d’exercer leur religion et de faire trancher leurs litiges internes par un consul dont la nomination est avalisée par le sultan.

Les impôts et droits de douane qui peuvent leur être imposés sont limités. Et, avantage principal de l’opération dans les premières années, seuls les vaisseaux battant pavillon français peuvent circuler librement dans les eaux ottomanes. Une exclusivité qui ne durera pas, d’autres nations obtenant dès la fin du siècle des avantages comparables.

La France, alors, en imaginera d’autres. Se fondant sur les droits religieux reconnus aux marchands étrangers – et calqués sur ceux concédés aux minorités autochtones – elle s’attribuera dès le XVIIe siècle un statut, essentiellement déclamatoire, de puissance protectrice des chrétiens d’Orient.

Dans la pratique, cette protection consistera surtout à favoriser le déploiement de missionnaires catholiques qui pêchent en eaux chrétiennes, semant le trouble entre Rome et les églises d’Orient. D’abord tolérée, cette activité sera interdite en 1722 par le sultan qui y voit, non sans raison, une tentative de prise d’influence aussi nationale que religieuse.

Mais cela ne mettra pas un terme à une politique qui va influencer profondément les rapports entre l’Empire ottoman sur le déclin et ses minorités chrétiennes. En ouvrant des écoles, en offrant aux élèves les plus brillants la possibilité de poursuivre des études en Europe, en faisant écho à leurs tribulations, la France – et sur son modèle, notamment, les pays anglo-saxons – ouvre à ces minorités de vraies perspectives d’émancipation. Mais ils contribuent aussi à les ancrer, aux yeux du pouvoir ottoman, dans un statut de cinquième colonne dont les inconvénients ne seront guère contrebalancés par une aide concrète quand le besoin de cette dernière se fera sentir.

 

 

 


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