C'est Turc! LES JANISSAIRES

 
Nom francisé du principal corps de troupe de l'Empire ottoman (Yeni Ceri, "nouvelle troupe"), dont la création se situe dans la seconde moitié du 15ème siècle, sous le règne du sultan Murat 1er (1362-1389). Le recrutement des janissaires, d'abord effectué en prélevant un prisonnier de guerre sur cinq, se fait ensuite par le système de la devchirmé, ou ramassage de jeunes enfants dans les familles chrétiennes des Balkans ; élevés en milieu turc et musulman en Anatolie, ces enfants étaient ensuite affectés à l'odjak des adjemi (littéralement, le "corps des débutants") de Gallipoli, d'où ils passent dans l'armée. Ce système de recrutement a duré jusqu'à la fin du 16ème siècle, époque à partir de laquelle des musulmans d'origine ont pu s'enrôler dans l'armée ; c'est aussi à ce moment que l'obligation du célibat pour les janissaires n'a plus été respectée. Le corps (odjak) des janissaires, commandé par un agha, est divisé en oda (chambrées). Le nombre des janissaires a varié de 8 000 à la fin du 14ème et au début de 15ème siècle, à 12 000 sous le règne de Süleyman le Magnifique, 26 000 à la fin du 16ème siècle, 55 000 en 1653 pour redescendre à 30 000 dans les années suivantes et remonter à 70 000 en 1700 ; il a varié de 35 000 à 65 000 jusqu'au début du 19ème siècle. Les janissaires ont été très liés à la confrérie des derviches bektachis. Leur action militaire, valeureuse et redoutée des Européens jusqu'à la fin du 16ème siècle, s'est doublée ensuite d'une action politique (assassinat du sultan Osman II en 1622, nombreuses révoltes au 17ème et 18ème siècles) qui avait pour cause le refus de toute modernisation de leur corps. C'est seulement en 1826 que le sultan Mahmut II, en utilisant la force, est parvenu à réduire et à supprimer le corps des janissaires et à créer une armée de type moderne. 

 


Dossier tiré du site suivant :
http://perso.club-internet.fr/theilsb/VAEVICTIS/HISTOIRE/OTTOMANS/HISTOIRE-OTTOMANS-Janissaires-intro.htm 

 

LES JANISSAIRES

sultan Osman II

INTRODUCTION

Depuis des siècles, une étude sérieuse sur l’Empire ottoman et son armée a été entravée par des préjugés et la peur, fortement ancrée en Occident, des "Terribles Turcs " - cette crainte prend racine durant les siècles de guerre entre l’Europe chrétienne et son plus proche voisin musulman. Certains préjugés demeurent si profonds qu’ils sont visibles à l’œil nu. Par exemple, les costumes traditionnels de la plupart des clowns (de cirque) européens, leurs pantalons bouffants et leurs chapeaux pointus semblent être l’objet d’une caricature des modes turques ottomanes.

Mosquée Sulemanye à Istambul

Même aujourd’hui, un historien reconnu peut affirmer que les Janissaires remplaçaient l’amour de la famille, du foyer et de la patrie par le fanatisme religieux, la soumission absolue, la soif de pillages et la convoitise des beaux garçons, rejetant l’idée qu’il y ait eu une quelconque noble cause derrière leurs succès militaires. En contraste avec ces assertions ridicules, les premiers écrivains qui avaient vu les Janissaires en action étaient beaucoup plus objectifs. L’historien grec Chalcondilas du début du XVè siècle imputait le succès des Ottomans à leur discipline stricte et une intendance excellente qui leur permettaient de maintenir les routes en bon état et d’avoir des campements très ordonnés, de grandes quantités de bêtes de somme et des forces de soutien bien organisées.

Ecrivant vers la fin du XVIè siècle, René de Lusinge a exposé dix-sept raisons expliquant les victoires des Ottomans ; parmi lesquelles comptaient une dévotion pour la guerre, un manque d’intérêt pour les fortifications fixes, l’initiative de l’offensive, des soldats bien entraînés, une discipline ferme rigoureuse, l’usage de stratagèmes tels que l’attaque directe, des commandants habiles et l’abscence de perte de temps pour les divertissements. L’ambassadeur autrichien Busbeq ajoutait la propreté des campements, lieux où les jeux de hasard, la boisson ou encore les jurons étaient proscrits, où il y avait des latrines propres et un corps efficace de porteurs d’eau qui suivaient l’armée au cœur de la bataille et qui secouraient les blessés.

Parmi cette force impressionnante, les Janissaires étaient constitués pour une part des régiments de kapu kullari et les troupes personnelles du Sultan étaient recrutées parmi les esclaves et les prisonniers. De bien des manières, les Janissaires étaient le reflet de la société ottomane, qui était elle-même régie par une élite militaire et où la mobilité sociale était plus grande qu’en Europe. Au sommet de celle-ci, les Turcs eurent mieux évalué l’Europe que les premiers Américains ne l’ont fait pour la frontière Ouest - une terre d’aventure, de missions et d’opportunités.
Une des caractéristiques du corps des Janissaires qui a posé problème aux Occidentaux, pour rester objectif, est le fait qu’il ait été recruté parmi les esclaves. On peut encore le voir dans son contexte. Les Byzantins et les autres armées chrétiennes des Balkans réduisaient habituellement leurs adversaires musulmans et païens en esclavage et les Hospitaliers - incarnation des valeurs chrétiennes des Croisés - se contentaient de tuer leurs prisonniers turcs, tandis que les mercenaires catalans massacraient tous les Turcs âgés de plus de dix ans. D’autre part, les Turcs obéissaient à la pratique musulmane traditionnelle qui consistait à ne pas faire de mal aux prisonniers de guerre âgés de moins de vingt ans et à en faire des esclaves, comme butins de guerre.

Miniature turque : Armée ottomane en 1594

Pourtant, la loi religieuse musulmane ou charia, condamnait un souverain s’il faisait de ses propres sujets chrétiens des esclaves. Le système ottoman différait des précédents car les esclaves militaires étaient recrutés au sein même de l’Etat. Le devchirme ou ramassage des enfants issus du tribut alimentait l’infanterie d’élite, la cavalerie et les serviteurs civils, ce système fut pratiqué dès les premières années alors que les Ottomans observaient un mélange singulier de croyances religieuses peu orthodoxes, de coutumes tribales turques et de tradition byzantine. Présenter les Janissaires purement et simplement comme des " soldats-esclaves " est une erreur. Le titre de kul ou d’esclave était une fonction empreinte d’honneur et de dignité et non pas d’oppression ; au XVIIè siècle encore, être reconnu comme kul était aussi estimable qu’être un sujet.

Janissaires, sultan et silahtar en marche Les origines de l’histoire des Janissaires sont entourées de mythes. L’Etat ottoman prit une forme analogue à celle des Beyliks, la plus petite enclave turque ou celle de principautés d’Anatolie à la fin du XIIIè siècle et bien que les Ottomans furent établis très près des centres stratégiques des Byzantins, d’autres beyliks participaient à la première invasion turque en Europe. En effet, l’Etat ottoman était dans un premier temps une terre d’asile pour les soldats, les paysans et les gens des villes qui fuyaient les Mongols. Les succès militaires attirèrent de plus en plus de volontaires et en 1362, Murad prit le titre de Sultan - ses prédécesseurs n’étaient que simples Beys ou Amirs. Accorder les traditions de la classe guerrière des ghazi (qui intégra très tôt les Janissaires) avec celles des théologiens, les ulémas, représentant la civilisation islamique classique, continua d’être problématique pour l’Etat ottoman pendant plusieurs siècles.

En tête de ces dissensions, une vague d’orthodoxie musulmane se réclamant de la sunna a parcouru l’Empire au XVIè siècle, succédant à la conquête du Moyen-Orient arabe par les Ottomans ; et un rapide coup d’œil sur la carte montre que le vaste empire ottoman a toujours été formé d’une mosaïque de régions, pour la plupart isolées, séparées par des déserts et des mers. Quoiqu’il en soit, les Ottomans possédaient un précieux avantage : une forte tradition de la tolérance, qui a permis au Sultan et à ses Janissaires de contrôler cet empire disparate.

Une telle tolérance porta vite ses fruits, elle prit la forme d’une conversion à l’Islam à grande échelle des minorités autrefois persécutées comme les Bogomiles de Bosnie. De nombreux juifs ont été convertis de la sorte et pouvaient intégrer l’élite, chose qu’ils n’ont jamais pu réaliser sous la loi chrétienne. En accordant aux classes militaires chrétiennes un rôle soutenu et en offrant davantage d’avancement à ceux qui se convertissaient à l’Islam, les Ottomans ont absorbé une bonne partie des élites slave et grecque byzantine ; ces mêmes élites eurent rapidement une grande influence dans le développement des traditions militaires ottomanes.


LES ORIGINES ET L’ÉVOLUTION DU CORPS JANISSAIRE

 

L’image populaire des armées turques conquérantes, des archers à cheval nomades, est totalement imprécise dès lors qu’elle concerne les Ottomans. Les premières armées ottomanes avaient la capacité de combattre avec efficacité aussi bien en montagne qu’en forêt, et de mener des opérations combinées après qu’ils ont fait l’acquisition d’une marine vers le milieu du XIVè siècle. Les fantassins jouèrent de tout temps un rôle majeur mais la cavalerie demeura l’arme dominante au moins jusqu’au XVIIIè siècle.

Troupes ottomanes Les forces armées ottomanes ont bénéficié d’un héritage militaire extrêmement varié, à commencer par celui des souverains seldjuqides de l’Anatolie du XIIIè siècle qui firent un usage considérable de leur infanterie. En fait, après l’invasion mongole dévastatrice l’Etat seldjuqide décomposé s’appuyait de plus en plus sur des milices urbaines, les piyadegans qui étaient le plus souvent recrutés parmi les membres des confréries religieuses derviches. Ces milices furent conservées jusqu’à l’ère subséquente des Beyliks ou des petites principautés. Parmi ces beyliks, des groupes de volontaires appuyés par les religieux appelés les ahi étaient employés pour réprimer les brigands et assurer la protection des voyageurs. Dans le même temps, un nombre croissant de troupes byzantines surveillant les frontières les akritoi se rallièrent à ces petits états turcs. Des sources écrites suggèrent avec insistance que les armées des beyliks les plus à l’Ouest sont majoritairement composées d’infanterie, notamment lorsqu’ils menaient des raids vers le continent européen au delà des détroits. L’épopée " Dûsturname Destan ", qui relate les aventures du gouverneur du beylik d’Aydin, décrit les archers azap se déployant à l’avant de sa cavalerie ghazi. Pou leur part, les sources grecques présentent les hommes d’Omar comme des symmachia peze ou auxiliaires à pied.

Les premières forces ottomanes ressemblaient à celles des autres beyliks , où les élites militaires chrétiennes étaient placées sur l’aile gauche. La nouvelle infanterie yaya et la cavalerie müsellem étaient même recrutées aussi bien chez les musulmans que chez les chrétiens, les yaya sont apparus pour la première fois sous le règne d’Orhan (1324-1359). 

1- Yaya, chrétien des Balkans au service des ottomans, début XV ème siècle.
2- Sipahis turc vers 1400, caractéristique des armées ottomanes de cette époque.
3- Fantassin d'élite ottoman, début XIV ème siècle.

Dès que les Ottomans prirent le contrôle de la Thrace vers 1360, les Turcs musulmans s’y installèrent et pouvaient facilement fournir des fantassins disponibles. Orhan possédait un corps de suivants à plein temps pour son infanterie dès 1338 mais ceux-ci à l’image des kapu kullari, gardes du corps les de la fin du XIVè siècle, n’étaient pas encore des Janissaires.

Il semble que l’influence byzantine sur le développement de l’infanterie ottomane, embarquée ou non, était particulièrement marquée durant le XIVè siècle. Comme pour les Ottomans, les troupes byzantines les plus efficaces se composaient effectivement d’archers. Les byzantins mourtatoi et les serbes murtat étaient issus d’un métissage de chrétiens et de turcs ou descendaient des turcs, prisonniers de guerre, et comprenaient des arbalétriers. Par opposition, les byzantins ianitsarai du début du XVè siècle n’étaient pas janissaires mais formaient une cavalerie légère dont le nom venait du catalan ginetari (janizzeri en latin médiéval).

Une fois installés en Europe, les Ottomans furent imprégnés de l’influence militaire des Balkans (les rares témoignages disponibles signalent que l’infanterie a joué un rôle majeur au XIVè et XVè siècles) ; les chrétiens des Balkans étaient même la composante majoritaire l’armée permanente ottomane vers la fin du XIVè siècle.

Il est difficile de faire la part des choses entre la vérité et la légende pour ce qui concerne les véritables origines du corps ou oçak des Janissaires. Les récits les plus anciens attribuent la création du corps à Orhan mais presque tous accordent à l’ordre derviche des bektasi, un rôle majeur tout du moins pour l’origine du börk distinctif des Janissaires ou de leur bonnet blanc en feutre. Une version raconte que Ali Pasha, conseiller militaire d’Orhan, avait suggéré que les nouvelles troupes du souverain portent des chapeaux blancs afin de les distinguer du reste de l’armée habillée de rouge (Ali Pasha pourrait être en réalité un derviche bektasi, le leader de la secte aurait alors donné une approbation religieuse au concept).

Les récits à propos des Janissaires ont vraisemblablement été dissimulés avant cette affaire de couvre-chef distinctif. Dans les premiers siècles, les chapeaux rouges étaient portés par des groupes musulmans révolutionnaires shia et pourraient remonter à l’époque de la secte pré-islamique des mazdak. D’un autre côté, les chapeaux rouges zamt bouffants étaient caractéristiques des Mameluks musulmans sunnites à la fin du XIVè siècle, les élites militaires de la Byzance chrétienne du XIVè siècle portaient des chapeaux noirs, jaunes ou rouges et les chrétiens de l’Anatolie occidentale vivant suivant les règles turques se distinguaient par des chapeaux rouges ou blancs. La plupart des beys turcs portaient des chapeaux rouges et Orhan avait choisi le blanc pour se différencier. D’autre part, les grands chapeaux blancs de feutre, les ak bôrk, servaient probablement à distinguer les troupes recrutées à partir de l’esclavage de celles constituées d’hommes libres.

Selon l’usage, les premiers Ottomans touchaient vraisemblablement le cinquième de leur butin en numéraire. Le recrutement parmi les prisonniers à grande échelle ne commença qu’après la conquête ottomane de la Thrace au début des années de 1360. Une légende affirme que les premières recrues étaient des troupes byzantines capturées par Gazu Evrenos, lui-même d’origine byzantine, après la prise d’Ipsala située au sud d’Edirne. Dans les années qui suivirent, si le nombre de prisonniers de guerre était insuffisant, les agents du Sultan achetaient des esclaves jeunes et en bonne santé sur les marchés d’esclaves ordinaires afin d’en faire des soldats. Si ces unités s’inspiraient de celles de la Garde, les ghulam, on n’a pas d’informations sur la cavalerie recrutée parmi les esclaves, qui a existé quelque part dans le Moyen-Orient. Les premiers bataillons ou ortas de janissaires devaient, quoiqu’il en soit, renforcer l’infanterie yaya et étaient probablement rattachés aux établissements de chasse du Sultan.

L’origine ou l’inspiration du système du devchirme reste encore peu évidente : selon toute vraisemblance, l’empire byzantin levait de force un enfant sur cinq dans les secteurs slave et albanais au XIè siècle ; Kara Rustem, un érudit turc du milieu du XIVè siècle, pourrait avoir imaginer l’idée d’enrôler les enfants prisonniers aussi bien que les adultes ; cela peut aussi bien être une notion d’origine ottomane ou encore la fusion de concepts nouveaux et antérieurs. Quelle que soit son origine, le système du devchirme ne fut clairement connu qu’après la création du corps des Janissaires lui-même, bien qu’il fut interrompu pendant le chaos qui suivit l’invasion de Tamerlan, où les Janissaires et les autres unités kapu kullari furent massacrées à la bataille d’Ankara en 1402.

Le souverain Murad II rétablit le devchirme en 1438, développa l’action des kapu kullari et modifia les droits des Janissaires dans le but d’élargir son empire vers l’Est par des conquêtes en Europe. Son successeur Mehmet II (1451-1481), qui s’empara de Constantinople, la byzantine pour en faire Istambul, augmenta la solde des Janissaires et leur effectif, les équipa d’armes perfectionnées et fit d’eux le noyau de l’armée ottomane toute entière. De plus, il remplaça les unités déloyales par quelques 7000 dresseurs de chien, les sekban et fauconniers, les doganci pour la Chasse Royale espérant, par-là même, instiller une plus grande discipline. Quelque temps plus tard, le grande majorité des jardiniers bostanci devenaient des soldats emplumés pour former le tiers du corps des Janissaires. Deux élites plus petites les hasekis qui servaient la Garde du Sultan et les sandalcis qui étaient les rameurs de la flotte impériale faisaient partie de la division des bostancis.

Les Janissaires n’étaient probablement pas plus de 1000 au début du XIVè siècle mais une évaluation détaillée de l’armée ottomane en 1475 suggère qu’il y ait eu 6000 janissaires, 3000 cavaliers de type kapu kullari et 22000 cavaliers sipahi dans les provinces européennes et 17000 sipahi en Anatolie. Un registre précis de l’année 1527 accordait à Soliman le Magnifique 87927 hommes dans son armée provinciale dont 37627 étaient kapu kullari, parmi lesquels il y avait des troupes de janissaires, de cavalerie et du génie. Des documents ottomans saisis après l’échec du siège de Vienne en 1683 montrent que les janissaires constituaient le quart de la force d’invasion, en ne comptabilisant pas les serviteurs de camp. Après des défaites subséquentes en 1699, le corps des Janissaires fut réduit en nombre mais il fut bientôt en hausse et, à la moitié du XVIIIè siècle, l’Etat ottoman entretenait pas moins de 113400 janissaires, même si une minorité sont de véritables soldats, 12000 bostanci, 50000 levent (infanterie embarquée ou non), 3000 misirh d’infanterie auxiliaire en Egypte et, enfin 6000 autres fantassins auxiliaires.

Les premiers janissaires, tout comme d’autres fantassins ottomans, étaient des archers mais ils adoptèrent rapidement les arquebuses (arkibuza) de leurs voisins balkans. La Dalmatie, par exemple, importa des pièces d’artillerie d’Italie dès 1351, l’année d’avant où les Ottomans établirent leur première tête de pont à l’extrémité de la péninsule des Balkans et au début du XVè siècle l’arkibuza est mentionnée dans les sources bulgares. L’infanterie ottomane utilisait, très certainement, des armes à feu au début du XVè siècle mais Murad II fut le premier souverain à avoir des hommes qui choisirent ces armes dans de grandes proportions. (Le futur déclin des janissaires ne devait rien avoir avec un manque d’intérêt pour ces nouvelles armes, même s’il y eut une résistance à imiter les tactiques d’infanterie européennes au cours des derniers XVIIè et XVIIIè siècles).

Alors qu’en Europe l’Etat devint le maître de ses armées, la nature contractuelle de l’esclavage régnant dans tout l’Empire ottoman signifiait que le Sultan ne pouvait révoquer ses esclaves dès lors qu’ils n’étaient plus utiles. En conséquence de quoi, ce fut l’armée ottomane qui devint maître de l’Etat ottoman.

Malgré l’impact des janissaires sur les champs de bataille, leur importance fut amplifiée et notamment de la part des observateurs européens, qui étaient surpris les capacités des oçak janissaires. En réalité, les forces locales installées aux frontières menèrent la première phase de l’expansion ottomane, sans l’autorité du Sultan pour la plupart d’entre elles, même si la propre armée kapu kullari du souverain en prit la direction au cours du XVè siècle. Les Ottomans avaient aussi une connaissance remarquablement fouillée sur la grande stratégie et les opérations combinées, où l’infanterie jouait encore un rôle de premier plan. Sur la côte Nord de la Mer Noire, le poste avancé génois de Kaffa était connu pour être la dernière ville en Europe alors qu’à moins de quatre cent kilomètres de là, Tana la génoise devint bientôt le denier rempart avant la frontière islamique. La prise de ces postes avancés fit que la Mer Noire se transforme en lac ottoman, mais les Turcs se chargeaient de bloquer les embouchures des rivières sur la vaste Mer Noire avec de solides garnisons d’infanterie.

Le rôle de l’infanterie de marine ottomane date de la conquête du beylik de Karasi et de la capture de sa flotte par Orhan. A partir de là et jusqu’au XVIIIè siècle, les janissaires, azaps et levents constituèrent une force d’infanterie de marine hautement efficace. En fin de compte, le littoral ottoman long et vulnérable nécessitait de nombreuses forces d’infanterie armées de mousquets et de confiance, pour être protégé contre les empires maritimes britannique, français, hollandais et portugais.


RECRUTEMENT ET ENTRAÎNEMENT

 

Des experts de la loi ottomans tentaient de justifier le devchirme sous le motif que ceux qui étaient recrutés ne sont pas des "gens protégés " car leurs ancêtres avaient conquis par la force ou que les terres slave et albanaise n’avaient été converties au christianisme qu’après la mission du prophète Mahomet en Arabie. Mais de tels arguments étaient balayés par les docteurs musulmans rigoureux qui continuaient de voir dans le devchirme une violation des droits des sujets non musulmans du Sultan. Aussi n’est-il pas surprenant que le devchirme ait profondément inquiété la hiérarchie chrétienne orthodoxe essentiellement parce qu’il impliquait une conversion à l’Islam. Les Ottomans prétendaient même qu’il n’y avait aucune conversion forcée, tout en soutenant que les pressions morales étaient justifiées car le prophète Mahomet avait dit : " tous les hommes naissent avec les graines de l’Islam dans leur cœur ". Comme lors de l’Inquisition en Espagne, ceux contraignaient les jeunes recrues au devchirme estimaient avoir sauvé leur âme de l’enfer.

Le devchirme s’appuyait rigoureusement sur le recrutement d’un enfant tous les quarante foyers; la levée se produisait à peu près toutes les cinq années dans les Balkans. Dans sa forme la plus accomplie, le devchirme enrôlait de force 1000 à 3000 jeunes par an, en dehors du recrutement ordinaire global de près de 8000 esclaves, jusqu’à ce que l’insuffisance persistante des effectifs militaires signifia aux volontaires musulmans le droit d’incorporer le corps des Janissaires vers la fin du XVIè siècle.

Les Balkans contribuèrent pour une large part au recrutement mais les minorités chrétiennes d’Anatolie n’y échappèrent pas ; le premier devchirme oriental connu survint en 1512. D’un autre côté, on dispensait de nombreuses régions conquises du devchirme selon les propres termes de leur reddition. En général, les grandes cités et les îles côtières étaient exemptés, de même que les provinces tributaires. Le devchirme privilégiait les jeunes hommes âgés de 8 à 20 ans issus de familles paysannes des campagnes ; des individus en bonne santé mais sans éducation plutôt que des jeunes citadins formés à "l’école de la rue ". Les familles avec un seul fils étaient excusées et les Juifs exemptés. La plupart des Grecs y échappèrent aussi car la majorité de ceux qui parlaient grec étaient alors dans les villes ou peuplaient des îles. D’autres groupes étaient dispensés comme les mineurs et les gens vivant près des routes ou des cols stratégiques qui avaient déjà des missions de défense locales.

Une fois l’étrangeté choquante du devchirme passée, beaucoup de familles proposait leurs enfants pour ce qui semblait être une bonne carrière, des parents aussi bien chrétiens que musulmans auraient offert des pots-de-vin pour que leurs enfants soient acceptés. Officiellement, les seuls musulmans concernés par le devchirme étaient les slaves convertis de Bosnie.

Le devchirme débuta avec un édit ou ferman du Sultan. Un officier du rang des yayabasi au moins, avec des lettres d’autorisation et accompagné de plusieurs "conducteurs de bestiaux " sürücü, un secrétaire et une cargaison d’uniformes se rendaient dans un lieu désigné où le clergé chrétien avait été chargé de rassembler les enfants mâles avec leur certificat de baptême. Deux listes étaient établies pour ceux éligibles et bons pour le service ; l’une était donnée à un sürücü , qui escortait alors les recrues jusqu’à Istanbul. Là-bas, les plus intelligents étaient envoyés comme iç oglan ou serviteurs de la "chambre privée ", dans les écoles du palais du Sultan, et destinés, pour les plus chanceux, à de hautes fonctions. Le reste, les acemi oglan ou "garçons étrangers "étaient envoyés dans les maisons d’hommes respectables ou doyens pour la première étape de leur éducation. La procédure de sélection, supervisée par un comité d’examinateurs, est un mélange frappant d’idées neuves et archaïques : d’un côté la forte croyance turque dans la "science de la physionomie " affirmait que la condition morale pouvait se juger par l’apparence extérieure et de l’autre les recrues étaient soumises à des examens mentaux qui s’apparenteraient aux tests de Q.I modernes.

Parade de janissaires On en sait plus sur l’éducation de l’élite iç oglans que sur celle des ordinaires acemi oglans destinés au corps des Janissaires mais les principes en étaient similaires. Il y avait des écoles de palais à Bursa, Edirne, Istanbul et Galata, où les jeunes étudiaient pendant deux à sept années dans une discipline sévère que le kapi agasi ou chef eunuque blanc imposait. Ils apprenaient d’abord l’Islam et les professeurs ou hocas leur donnaient une culture générale. La dominante de leurs études subséquentes dépendait de ce qui leur convenait le mieux, elle était soit religieuse, soit administrative ou militaire. Des sujets spécifiques comprenaient la littérature arabe, perse et turque, l’équitation, le lancer de javelot, le tir à l’arc, la lutte, l’haltérophilie et la musique pour les plus doués. De plus, un accent particulier était mis sur l’honnêteté, la loyauté, les bonnes manières et le contrôle de soi. A la fin de cette formation, il y avait un çikma, un procédé de sélection et de promotion. Les meilleurs iç oglans allaient dans les chambres haute ou basse du palais du Sultan, pendant que les autres étaient transférés vers la cavalerie de kapu kullari.

En comparaison avec cette instruction quasi-chevaleresque, celle de l’acemi oglan ordinaire était totalement militaire avec une insistance écrasante sur l’obéissance. Ils étaient tout d’abord prêtés comme türk oglan pour exécuter les travaux dans les champs des familles turques, apprendre la langue turque, les compétences militaires de base et la foi islamique pendant cinq à sept ans. Ils étaient ensuite envoyés vers un des acemi ocak ou corps d’entraînement lorsqu’on leur accordait du repos. Pour certains des acemi oglan, on dispensait leur première éducation dans les konaks ou maisons des puissants beys ou pachas, qui reflétaient plus modestement les écoles du palais. Les meilleurs türk oglan étaient promus dans la division des jardiniers ou bostanci, les autres devenaient simples janissaires ou intégraient les ortas de baltaci, des bûcherons ou une des ortas de l’Amirauté. A partir de là, les hommes étaient sélectionnés pour les ortas plus techniques des cebeci (armuriers), des topçu (artilleurs) ou des top arabaci (conducteurs du train d’artillerie). Toutefois, la majorité d’entre eux s’entraînaient dans des casernes écoles comme simples fantassins janissaires et leurs classes continuaient de dispenser les mathématiques de base. Qui plus est, les acemi oglans travaillaient dans les cuisines impériales ou dans les constructions navales.

L’entraînement durait au moins six années durant lesquelles l’acemi oglan était supervisé par les eunuques et séparé de toute compagnie féminine. La discipline était très sévère, même si elle si elle était moins rigoureuse en dehors de leurs heures de service. Les dernières promotions de kapiya çikma n’étaient converties en ortas opérationnelles que lorsqu’un poste devenait vacant, et la parade faite à cette occasion était un événement solennel. Les diplômés marchaient sur une seule colonne, chacun tenant l’ourlet de l’homme de devant, puis s’alignaient devant un odabasi de leur unité, qui leur donnait à chacun le chapeau caractéristique des janissaires et le certificat de leur admission. Le soir suivant, après les prières, chaque nouveau janissaire portait la dolama du soldat, un manteau, et devenait un membre de l’oçak à part entière. Il devait embrasser la main de son nouvel officier qui l’appelait alors yoldas ou "compagnon de route ". Ce qui peut paraître surprenant, c’est qu’il existe des écrits précis racontant que de nombreux janissaires gardaient le contact avec leur famille chrétienne d’origine.

Durant la période de l’apogée ottomane, le simple soldat janissaire était entraîné à la pratique d’armes variées. Ceux qui étaient basés à Istanbul allaient à l’ok meydan, un champ de tir à l’arc juste au nord de la Corne d’or et pratiquaient le tir à l’arc et au mousquet, le lancer de javelot ou l’escrime, utilisant de vieux chapeaux de feutre placés sur des bâtons comme cibles. Le tir au mousquet se pratiquait sur des pots de terre posés au sol ou sur des murs. Les hommes tiraient "d’une grande distance ", selon un observateur français, et "tenaient leur arme d’une seule main ". Les ennemis des Janissaires avaient aussi remarqué que les tireurs ottomans étaient précis au clair de lune et la rapidité et la précision de la mousquetade ottomane impressionnaient toujours autant les Autrichiens à la fin du XVIIè siècle.

Dans les dernières années, le mode de recrutement changea complètement. En 1568, quelques-uns uns des fils de Janissaires à la retraite étaient triés et pouvaient intégrer le Corps et à partir de 1582, les hommes libres avaient désormais la permission de devenir les "protégés " du yeniçeri agasi ou commandant des Janissaires. Les soldats eux-mêmes semblaient favorables à une élimination progressive du devchirme, de manière à créer des opportunités pour les propres fils et à la fin du XVIè siècle, la majorité des recrues étaient très certainement des fils de Janissaires. En 1594 les rangs de l’armée étaient ouverts à tous les volontaires musulmans. Le devchirme fut stoppé dans les faits en 1648, bien que le système d’entraînement des acemi oglan fut maintenu en place et un ultime devchirme échoua en Europe en 1703. Dès lors, la principale source de main-d’œuvre fut les Tatars criméens d’Ukraine et du sud de l’Ukraine mais même ce nouveau recrutement cessa avec l’annexion de la Russie par la Crimée en 1783.


STRUCTURE DU CORPS DES JANISSAIRES

 

Pendant les XVè, XVIè et XVIIè siècles, la seyifin ou structure totalement militaire de l’Empire ottoman est composée d’une marine, de forces provinciales ou eyâlet askerleri et de l’armée du Sultan ou kapu killari askerleri. La marine comptait parmi ses rangs des spécialistes de l’art de la guerre navale et les levents ou infanterie de marine, tandis l’ eyâlet askerleri et la kapu killari askerleri avaient, chacune, des divisons de cavalerie et d’infanterie. L’infanterie provinciale de l’eyâlet askerleri était connue sous le nom de yerlikulu piyâdesi ou infanterie locale. Elle consistait en des troupes de müsellem ou "reconnues " qui, même s’ils étaient cavaliers à l’origine, furent rétrogradés au niveau de ce qui serait un peu plus que des milices d’infanterie. Puis il y avait des "mercenaires " ou icâleri, les azaps et les levents qui n’appartenaient pas à la marine. Les sekbans provinciaux refont leur apparition comme infanterie de province dans la dernière période mais on ne doit pas les confondre avec les premières élites sekbans de l’oçak des Janissaires. Les lagimici ("sapeurs et pionniers ") faisaient aussi partie de l’infanterie provinciale.

L’infanterie de la kapu killari askerleri ou armée du Sultan incluait la totalité du corps ou oçak des Janissaires. A laquelle il fallait ajouter les acemi oglans ou unités d’entraînement, les cebeci ou corps d’armuriers, les saka ou porteurs d’eau ; les topçu ou artilleurs, les toparabaci ou corps du train d’artillerie et les humbaraci ou grenadiers, ces trois derniers étant considérés comme faisant partie de l’artillerie.

Les 34 unités d’entraînement acemi oglans étaient les ortas les plus anciennes et, séparées du reste de l’oçak janissaire, étaient réparties sur deux camps d’entraînement ou meydans. L’oçak en service actif était formé de trois sections : la plus grande appelée cemaat ou assemblée ; le bölük ou division ; et les segmen ou dresseurs de chiens. Au sein du cemaat, les solak ortas formaient une garde d’élite (que l’on mentionne en 1402 pour la première fois). Ils occupèrent des postes d'archers pendant plusieurs siècles et constituaient, comme d’autres unités de garde, de petites formations. Les mütefferikas, des fils de hauts dignitaires et de vassaux, comptaient semble-t-il parmi les rangs de solaks. Les segmen étaient des unités de garde moins personnelles, armées de fusils à mèches et d’épées courtes. Ces unités semblaient être plutôt petites et comptaient entre 40 et 70 hommes.

Une même unité de janissaire était vraisemblablement composée de soldat armés différemment les uns des autres.
1- Janissaire en armure; XVI ème siècle, faisant vraisemblablement parti des troupes d'assaut d'une unité d'élite.
2- Janissaire mousquetaire, début XVI ème siècle, avec un canon de tranché, tant redouté par leurs adversaires.
3- Janissaire archer, début du XVI ème siècle.

Le corps bostanci des "jardiniers " était avant tout séparé des simples janissaires, il avait pour tâches essentielles la maintenance, le respect de l’ordre et la défense de quelques 70 propriétés ainsi que de la côte aux alentours d’Istanbul. La garde haseki qui lui était associée avait en charge tous les canons situés sur les terres du Palais.

Toutes les divisions de l’oçak des Janissaires tiraient leurs recrues des ortas d’entraînement des acemi oglans et chaque orta avait une même structure interne fondamentale. Cela reflétait le fait que les ortas étaient au début très petites - à peu près 50 hommes au milieu du XVè siècle et jusqu’à 100 hommes au XVIè - et la structure de commandement de l’orta avait pour nécessité première de nourrir les esclaves qui dépendaient du Sultan. Elle était constituée, à la base, l’officier commandant l’orta, appelé çorbasi ou "homme de la soupe " qui était aidé de six officiers et d’un grand nombre de sous-officiers, d’un employé de l’administration et d’un imam ou aumônier. Parmi tous ces hommes, seul le çorbasi était nommé par une entité extérieure à l’unité. Les ortas d’élèves acemi oglans étaient elles-aussi commandées par les corbasis tandis que les ortas solaks étaient menées par les solakbasis de plus haut rang, assistés de deus autres officiers.

Le Sultan choisissait l’agha yaniçeri ou commandant du corps des Janissaires ; ce dernier était généralement issu du corps et avait reçu son instruction, plus tôt, dans l’une des écoles du palais. L’agha yaniçeri était une figure très puissante, même s’il ne pouvait recevoir des ordres directement du Vizir : toutes les instructions devaient être émises par le Sultan. D’un autre côté, l’agha yaniçeri devait consulter le divan ou Conseil du corps des Janissaires pour traiter avec l’oçak. Ce Conseil était formé de l’agha yaniçer lui-même, du kul kâyasi et du sekbansi, commandant respectivement les unités de bostanci et de sekban, et les officiers des trois ortas de "chasse " d’élite (les zagarcibasi, les samsuncuibasi et les turnacibasi). Le prévôt basçavus de l’oçak des Janissaires semblait être nommé par le Conseil.

officiers du corps des janissaires

1- Officier de troisième rang, XVI au XVIII ème siècle. Cet officier de plus haut rang porte l'habit de parade.
2- Officier (Bey) Kethüda, habilité à porter des chaussures jaune du fait de son haut rang.
3- Officier Usta, XVII et XVIII ème siècle.

La structure finale de l’oçak des Janissaires se composait de 194 bataillons orta : 101 de cemaat, 61 (ou 62) de bölük, 34 (ou 33) de sebkans. De nombreuses ortas janissaires se distinguaient aussi par leur origine (inhabituelle), des noms spéciaux, des services particuliers ou des officiers commandants, qui avaient d’autres fonctions. Parmi les ortas les plus significatives :

dans la division cemaat,

La 1ère orta était commandée par le kul kâhyasi qui commandait aussi les unités (le Sultan était répertorié comme soldat de la 1ère orta) ; elle était appelée unité de deveci ou "chameliers " parce qu’elle escortait, à l’origine, le train.
La 2ème, la 3ème et la 4ème étant des deveci.
La 14ème connue comme étant des hasekis ou "gardes ", peut-être parce que les unités hasekis du Palais étaient recrutées parmi celle-ci.
La 17ème connue comme étant des çergecis ou "dresseurs de tentes de cérémonie " parce que leur tente particulière était placée en face de celle du Sultan en campagne.
La 28ème connue comme étant des okçus ou " archers ".
La 35ème connue comme étant des sekban avcisis ou "maîtres-chiens " même si ce n’était pas une sekban orta.
La 60ème étant une solak ou unité de garde impériale.
La 61ème, la 62ème et la 63ème étant des solaks.
La 64ème connue comme étant des zagarcis ou "maîtres de lévriers " ; faisant partie, à l’origine, des établissements de chasse du Sultan ; une des deux ortas de cavalerie armées de lances.
La 65ème faisant partie, à l’origine, des établissements de chasse du Sultan ; une des deux ortas de cavalerie armées de lances ; supprimée par Murad IV pour avoir été impliquée dans le meurtre d’Osman II.
La 71ème connue comme étant des samsuncus ou " maîtres de mâtins " ; faisant partie, à l’origine, des établissements de chasse du Sultan.
La 73ème connue comme étant des turnacis ou " gardiens de grues " ; faisant partie, à l’origine, des établissements de chasse du Sultan.
La 94ème était commandée par le chef imam ou " aumônier " des ortas basés à Istanbul.
La 99ème était commandée par le seyh ou chef des derviches bektasi.
La 101ème était commandée par le beytülmalci ou trésorier en chef du corps janissaire.

 

dans la division bölük,

La 5ème orta était commandée par le basçavasus ou " prévôt du corps des janissaires ".
La 19ème connue comme étant des bekçi ou des sentinelles, constituant des gardes de l’armée en campagne.
La 28ème commandée parle muhzir agha ou " celui qui assigne " du corps des Janissaires ; la garde du yeniçeri agasi était recrutée dans ses rangs.
La 32ème (ou 33ème) commandée pae le kâhya yeri ou kâhya délégué.
La 54ème commandée par le talimhaneci ou " directeur de la maison d’entraînement ".
La 56ème stationnée comme forces de police en permanence autour de la Corne d’or ; suppléant les harbaci, forts de 60 gardes de la Porte du Palais qui surveillaient les tentes du yeniçeri agasi et du Grand Vizir.

 

dans la division sekban,

La 18ème connue comme étant des kâtabis ou " secrétaires ", sûrement parce qu’ils servaient de clercs avant que les sekbans fissent partie de l’oçak janissaire.
La 20ème connue comme étant des kâhyasi sekbanen ortasi (orta sekban du kâhyasi).
La 33ème commandé par l’avcubasi, connue comme étant des avcis ou " veneurs " ; basés près de la Mer Noire en été, peut-être pour garder l’entrée du Bosphore.

La hiérarchie des rangs d’officiers du corps des Janissaires peut sembler, pour notre époque, être trop pesante à son sommet mais elle reflète l’influence des confréries religieuses des ahi, fityan et autres derviches dans les années de formation de l’oçak. La totalité des 196 ortas étaient sous l’autorité du yeneceri agasi, commandant du corps ou de l’oçak des Janissaires mais il ne pouvait l’oçak qu’en présence du Sultan. Autrement, le yeneceri agasi agissait comme le suppléant de toute personne que le Sultan avait nommée commandant de l’armée.

Pacha turc et silahtar Les officiers supérieurs ou de l’état-major des généraux comptaient dans leurs rangs : le sekbanbasi et le kul kâhyasi, tous deux servant comme adjudants du yeneceri agasi ; l’agasi d’Istanbul avait en charge les unités de garnison et celles qui formaient les acemi oglans sur Istanbul ; l’oçak imami ou " aumônier en chef " ; le solakbasi qui était sans cesse promu des rangs janissaires ; le beytülmalci ou trésorier en chef du corps des Janissaires ; le muhzir aga ou " celui qui assigne " du corps des Janissaires ; le kâhya yeri , qui représentait le yeneceri agasi auprès du Grand Conseil du Sultan ; le talimhanecibasi préposé aux exercices militaires et d’entraînement ; et l’azar basi ou chef des prisons et des exécutions. Le yeneceri kêtibi ou " secrétaire " du corps des Janissaires qui était un serviteur civil, était nommé chaque année pour superviser le grand staff des bureaucrates alors que le yayabasi, commandant de l’infanterie yaya à l’origine puis responsable des ordres de rassemblement des Janissaires, était un soldat. Parmi les officiers chargés du recrutement et de l’entraînement des vétérans, on trouvait :le rumeli agasi qui supervisait 14 des ortas d’entraînement ainsi que le recrutement du devchirme en Europe ; l’anadolu agasi qui supervisait 17 ortas d’entraînement et le devchirme en Asie ; et le gelibolu agasi qui supervisait l’entraînement des ortas dans la ville de Gallipoli. Tout comme le modèle du recrutement des janissaires fut modifié, de nouveaux officiers supérieurs, les kuloglu basçavasusu avaient en charge l’entraînement des fils des Janissaires admis dans l’oçak.
Pacha ottoman escorté par les Silahtar, reconnaissables à leur couvre chef rouge.

La structure de commandement des ortas était aussi le reflet de la tradition nomade turque, où le chef de tribu devait subvenir aux besoins de ses hommes avec un repas par jour. Tout comme le Sultan était connu par ses janissaires comme " le père qui nous nourrit ", les noms des rangs des ortas avaient des parfums très " culinaires ". Avec comme point de départ, le colonel ou " faiseur de soupe " çorbasi, qui était assisté dans se tâche par l’asçi usta ou " maître cuisinier " en charge d’un ou plusieurs asçi ou sous-officiers " cuisiniers " et des bas karakillukçu ou jeunes officiers " à la tête des arrière-cuisines ". Le rang des cavus ou " coursiers " était l’équivalent, grossièrement, à celui de sergent et se composait de karakillukçu ou cuistots. Le seul officier de l’orta ayant un titre entièrement militaire était le bayraktar ou porte-drapeau. Parmi les autres officiers s’occupant du bien-être matériel et spirituel de l’orta, il y avait l’odabasi ou " chef de chambrée ", le vekilharç ou quartier-maître, le sakabasi ou " tête de la distribution d’eau " et l’imam ou " chef de prière ".

Le statut relatif de ces officiers n’est pas clair mais, probablement, si l’on part du bas de l’échelle jusqu’à son sommet, on les classe ainsi : le bas karakullukçu, l’asçi usta, l’imam, le bayraktar, le vekilharç, l’odabasi et enfin le çorbasi. Le simple soldat nefer ou yoldas était classé suivant l’un des trois échelons d’après leur ancienneté, en partant de celui d’eskinci ou " soldat de campagne ", puis celui d’amelimanda ou " vétéran " pour leur bravoure au combat, et enfin celui d’oturak (" assis ") ou pensionné, qui n’était pas requis normalement pour les campagnes. Le grade le plus haut permettait d’accéder à un métier.

Au XVIIè siècles, les garnisons provinciales les plus importantes étaient basées à Bagdad, Bassorah, Damas, Jérusalem, Alep, au Caire, à Erzurum, Konya, Van, la Canée, Budapest, Salonique, Corinthe, Belgrade, Sarajevo, Vidin, Budapest, Braila, Bendery, Kaffa, à Otchakov et Kaminiec. La plupart d’entre elles étaient sous le commandement des 32 agas de frontière ou serhad agasi, même si un grand nombre des garnisons janissaires de l’Afrique du Nord étaient, de fait, une oçak indépendante, comme à Alger où ils avaient leur propre Conseil du Divan. Ailleurs, les structures provinciales de Janissaires devinrent de plus en plus autonomes aux XVIIè et XVIIIè siècles. A Damas, il y eut bientôt deux types distincts de troupes janissaires : la propre " armée privée "du gouverneur largement composée de kapi halki et deux ortas de nouveaux janissaires " impériaux " envoyés pour contrôler les accès stratégiques de la ville et de la citadelle.

Enseignes des janissaires L’oçak des Janissaires avait aussi développé un système de symboles et de drapeaux qui leur était propre et qui différait beaucoup de celui de leurs adversaires européens. La principale bannière ou bayrak janissaire, appelée l’imama azam était faite de soie blanche avec comme inscription : " Nous vous donnons la victoire et une brillante victoire. C’est Dieu qui nous aide et Son Aide est efficace. Oh Mohammed, tu apportes les bonnes nouvelles aux vrais croyants. " La tradition raconte que c’est Orhan qui donna aux premières unités janissaires une bannière rouge avec un seul croissant blanc et que l’étoile blanche qui complète le drapeau national turc actuel ne fut rajoutée qu’après la prise de Constantinople - Istanbul. Les bannières ottomanes comprenaient d’autres motifs comme un soleil, des étoiles, une dague, des formes géométriques, la Dhu’l fagar ou " main de Fatima ", " l’Epée d’Ali " à double lames. La bannière turque à queue de cheval ou tug était encore plus distinctive, dont les gardiens marchaient à une journée en avant de l’armée principale.
Toutefois, l’emblème le plus connu et le plus inhabituel des Janissaires était la kazan, une grande marmite en cuivre que l’orta conservait précieusement. La ration des hommes de pilav - du bulgar bouilli (du blé pilé) et du beurre - était préparée dans la kazan et ils se rassemblait autour de celui-ci pour leur seul repas journalier. Alors que la kazan était portée pour la parade, tous les soldats et les officiers se tenaient debout dans un silence respectueux. Renverser la kazan était un signe de mutinerie et se réfugier auprès d’elle équivalait à trouver un sanctuaire. Dans la bataille, la kazan de l’orta servait de point de ralliement en cas de difficulté, mais si la kazan était perdue, les officiers qui la défendaient tombaient en disgrâce et l’orta toute entière perdait le privilège de participer à la parade avec les autres kazans. Drapeaux des janissaires

UNIFORMES ET ARMEMENT

 

Janissaires

Le costume ottoman s’appuyait plus sur la tradition perse qu’arabe et resta remarquablement immuable du XVè siècle jusqu’au début du XIXè siècle. Caque classe sociale et chaque groupe ethnique, religieux, civil ou militaire avait une manière de s’habiller distinctive. Le couvre-chef était particulièrement important pour indiquer le rang. Un voyageur occidental du début du XVè siècle particulièrement attentif, l’écuyer bourguignon Bertrandon de la Broquière, décrivait les premiers costumes ottomans de cette manière : " … deux ou trois robes fines de coton descendant jusqu’à la cheville l’une sur l’autre. Pour manteau, ils portaient une robe de feutre appelée capinat (kapaniçe en turc). Elle était légère et très imperméable…Ils portaient des bottes qui montaient jusqu’aux genoux et des guêtres amples… dans lesquelles ils fourraient toutes leurs robes de telle manière qu’elles ne les gênent pas quand ils combattaient, voyageaient ou étaient à leurs occupations ".

Les uniformes des soldats janissaires étaient, pour une grande part, en laine, l’habit étant fourni par les tisserands juifs de Salonique. Les chapeaux börk et üsküf, étaient les marques les plus distinctives et ceci malgré l’influence derviche sur les origines du corps. Une simple cuillère de bois était attachée sur la devant de cette toque comme un badge, voilà qui illustre par un autre exemple le symbolisme culinaire employé par l’oçak des Janissaires. Les vestes des officiers vétérans étaient bordées de fourrure ; le renard, l’écureuil, l’hermine, la zibeline, le lynx et la martre étaient favorisées. Les bottes des janissaires étaient en cuir rouge, sauf celles des officiers vétérans ou des unités privilégiées qui étaient jaunes. Les ceinturons et les écharpes indiquaient aussi le statut : ceux des rangs des neufs bostanci étaient en drap grossier pour les moins gradés (le 1er était bleu, le 2ème blanc, le 3ème jaune, le 4ème bleu et blanc à la fois), en drap fin blanc pour le 5ème, en soie blanche pour le 6ème, en drap fin noir pour le 7ème et en noir pour les 8ème et 9ème.

1- Officier de la garde du sultan en habit de parade; deuxième moitié du XVI ème siècle.
2- Oglan Acemi, fin XVI ème siècle. Janissaire stagiaire avec son couvre chef caractéristique.
3- Janissaire de la marine en habit de parade; fin XVI ème siècle. Lors des parades, les janissaires portaient leur symboles sur leur couvre chef.

Nous ne disposons pas d'informations certaines sur la couleur des caftans des janissaires, il est fortement probable que ce caftan fut bleu, mais de nombreuses miniatures montrent des caftans rouges pour les janissaires. Il est également difficile de savoir si une seule couleur s'appliquée pour une même unité. Vraisemblablement, plusieurs couleurs pouvaient cohabiter dans une même unité de janissaires, sauf en se qui concerne les gardes janissaires du sultan qui portaient tous un habit jaune comme leurs chaussures. Quoi qu'il en soit la couleur des cafetans ne semblait pas être aussi caractéristique que celle des chaussures ou des ceintures. En revanche, ces hypothèses  s'appliquent aux couleurs des pantalons des janissaires.

Les troupes ottomanes réutilisaient les armes prises à l’ennemi et l’Empire importait aussi de grandes quantités d’équipements de l’Europe. Les efforts du Saint Père pour faire cesser ce commerce échouèrent, même lorsque l’Italie catholique était concernée, bien que les principaux fournisseurs en équipements militaires de l’Empire Ottoman du XVIè et XVIIè siècles étaient les protestants Anglais et les Hollandais. (Un navire anglais saisi par les Vénitiens en 1605 ne contenait pas moins de 700 barils de poudre à canon, 1000 canons d’arquebuses, 500 arquebuses complètes et 2000 lames d’épées et d’autres matériels de guerre pour l’armée ottomane.)

Les ventes en sens inverse se faisaient dans une moindre mesure mais il y avait en Europe une demande pour les tubes de canon turcs qui étaient de haute qualité. La fabrication d’armes était exécutée par des guildes différentes qui fabriquaient des épées, des lances, des poignards, des mousquets, des pistolets et des boucliers tandis que les armes plus lourdes étaient confectionnées dans les arsenaux d’état. La forte influence européenne était, en effet, criante à la fois dans le nom et la forme des armes à feu ottomanes du XVIIIè siècle ; par exemple le müskat tüfenkleri ou mousquet à silex, la karabina ou " carabine ", le tabanca ou " pistolet ", et le çift tabancali tüfenk ou " pistolet à double canon ".

Casques ottomans

1- Casque turc d'Anatolie, début XIV ème siècle.
2- Casque de cavalier ottoman début  XVI ème siècle.
3 - XV et XVI ème siècle.
4- CAsque de parade des peyk de la garde.
5- Casque d'officier milieu XVI ème siècle.
6- Casque "turban" XV ème siècle.

Bouclier rondache (osier brodé), fin du XVI ème siècle

Des janissaires portaient une armure complète dans les premiers jours et les pelotons utilisés pour l’assaut des sièges continuaient de faire de même pendant des siècles. Mais au XVè siècle, les protections de la cavalerie ottomane étaient quelque peu différentes de celles de l’infanterie ; la plupart des armures désignées populairement " janissaires " étaient en réalité des armures de cavalerie ou de sipahi. On ne fournissait pas d’armes lourdes aux Janissaires en temps de paix. Au lieu de ça, les armes étaient stockées dans les cebehane ou arsenaux ; les hommes choisissaient leurs armes favorites au début d’une campagne.

Au début, seule une minorité de l’infanterie ottomane disposait d’épées, la plupart avait des arcs et des lances courtes. La plupart des épées et des dagues faisaient partie des traditions islamiques ancrées depuis bien longtemps, bien que les sources picturales et les armes qui ont survécu suggèrent une influence des Balkans sur celles-ci. Par exemple, la forme rare d’une épée large et non taillée en pointe avec des petites plumes et un pommeau en forme de champignon a été identifié comme étant byzantine.

Armures ottomanes

A & B- Devant et arrière d'une armure de cavalier ottoman du XVI ème siècle.
C- Armure de fantassin ottoman,  XV ème siècle.
D- Brassière, XVII et XVIII ème siècle.
E- Protection pour les épaules, XVI et XVII ème siècle.

Armes blanches ottomanes

Le sabre ottoman le plus commun était le kiliç - large, non effilé et moins incurvé que l’acemi kiliç ou sabre perse plus mince. Le gaddara était un " couteau bowie "large, droit ou légèrement incurvé, et d’origine perse alors que les origines du fameux yatagan turc incurvé dans deux sens contraires et de son associé la pala droite avec un seul tranchant font toujours l’objet d’un débat. Le meç était une fine épée dynamique ou rapière d’inspiration occidentale, utilisée seulement par des troupes navales et celles stationnées en Hongrie. Des masses variées comme le gürz, le sesper et la koçbasi ou " tête de bélier "tout comme l’axe teber étaient aussi populaires. De plus, l’infanterie ottomane utilisait des armes d’hast variées (un fait rarement noté par les historiens). Elles incluaient la harba ou guisarme, le tirpan ou glaive avec une longue lame courbe, le zipkin apparemment crochu, et le balta ou hallebarde. Quelques-unes d’entre elles trahissent l’influence italienne, vraisemblablement des colonies vénitienne et génoise envahies par les Ottomans, mais les armes d’hast ottomanes qui subsistent ont une forte similitude avec les armes russes, et le bardiche, avec sa grande lame fixée au manche en deux points et la pointe sur l’arrière, est semblable aux armes chinoises et d’Asie centrale et ceci de façon remarquable.

Les premières ortas janissaires étaient constituées d’archers et bien que la plupart des janissaires étaient armés bientôt d’armes à feu, l’arc restait une arme de cérémonie prestigieuse dans toute l’histoire de l’oçak. (L’emploi d’arbalètes par les Ottomans était moins connu, même si les forces byzantines en faisaient un usage considérable. En fait, le mot turc en médiéval tardif pour désigner l’arbalète, çanra venait vraisemblablement des tzaggra byzantines - à moins que les deux ne dérivent du mot " perso-arabe " jarkh de l’arbalète. Malgré tout, c’est l’utilisation d’armes à feu par les Janissaires qui captait l’attention de leurs ennemis. Premièrement les soldats, fiers de leur apparence soignée, détestaient les armes sales mais, après avoir vu leur puissance en Hongrie, les Janissaires adoptèrent progressivement les arquebuses à mèches.

Pendant les premières années, les armes à feu étaient des tüfenk, tüfek ou zabtanah, chacune d’elles venait de mots perses médiévaux désignant la sarbacane. Les armes à mèches caractéristiques ottomanes étaient plus longues et avaient un calibre plus gros que celui des armes employées en Occident. Les plus grandes, d’Alger, pouvaient tirer une balle pleine de 80 g et les plus légères, de Grèce, une balle de 22 g. Le système de mise à feu à l’aide d’un silex fut probablement inventé en Allemagne au début du XVIè siècle, mais il n’était pas fiable dans les conditions poussiéreuses propres aux Proche et Moyen-Orient. En conséquence, l’infanterie ottomane s’accrochait à leurs armes à mèches robustes et plus longues que celles utilisées dans le reste de l’Europe. Puis, au cours du XVIIè siècle, un système de mise à feu par silex simple et facile à nettoyer comme le miquelet en provenance d’Italie et d’Espagne fut introduit par l’Afrique du Nord.

Armes à feu ottomanes

Ce ne fut qu’après la conquête difficile de la Crète vénitienne de 1645 à 1669, que les Janissaires firent définitivement un grand usage des pistolets. En 1770, on pria le Baron de Tott, un français d’origine hongroise, de moderniser l’armée ottomane, et il tenta de convaincre les Turcs d’employer des baïonnettes. Mais, tout comme les piques auparavant, cette arme était un anathème pour les yoldas individualistes, qui réalisèrent qu’elle ne serait efficace que maniée par des hommes agissant à l’unisson - ou, comme les Janissaires le voyaient, " en combattant comme des robots plutôt que comme des guerriers ".


PROMOTION, SOLDE ET MORAL

 

Les promotions et les transferts se faisaient tous les deux à huit ans ou au moment de l’avènement d’un nouveau dirigeant. A l’intérieur du corps des Janissaires, les promotions étaient accordées suivant le bénéfice de l’âge en théorie ; les jeunes officiers étaient vraisemblablement choisis parmi les sous-officiers çavus et karakullukçu. La discipline était très stricte et on disait que " quarante hommes étaient menés par une seule tête ". Murad I avait posé 16 lois pour le corps des Janissaires : obéissance totale envers les officiers ; unité dans la volonté ; comportement militaire sévère ; pas d’extrêmes dans le luxe ou abstinence ; une piété stricte du code bektasi ; acceptation des meilleures recrues seulement ; peine capitale pour quelque chose de distinctif ; punition infligée seulement par ses propres officiers ; promotion suivant l’âge ; prendre soin de ses propres personnes à charge ; pas de barbe pour les simples soldats ; pas de mariage avant la retraite ; vivre seulement dans les casernes ; pas d’autre commerce ; entraînement militaire à plein temps ; pas d’alcool ni jeux d’argent. Les punitions allaient de l’emprisonnement dans les cuisines (peut-être la corvée de patates) à l’incarcération dans les forteresses des Dardanelles. La punition la plus courante était d’avoir la plante des pieds frappée par un falaka ou un bâton. Après chaque punition, celui qui avait offensé devait embrasser la main de son officier et marquait ainsi son retour à la discipline. Les punitions des officiers allaient de la rétrogradation jusqu’au bannissement du corps des Janissaires ou jusqu’à l’exécution. Le discipline pendant la marche était même plus sévère, avec une punition pour tout dégât causé sur le bien d’autrui, et une compensation payée aux victimes. Une désertion en temps de guerre avait comme conséquence une exécution par strangulation ; le sac était placé dans un sac lesté et était balancé dans la mer ou un lac la nuit pour éviter une honte publique.

Sous officiers du corps des janissaires

Les janissaires recevaient leur ulûfe ou solde trois ou quatre fois dans l’année, les jours de paye coïncidaient souvent avec la venue de dignitaires étrangers, qui permettait aussi un relâchement de la discipline janissaire. Des bonus étaient attribués pour un service remarquable, comme quand les survivants de unités de serdengeçti (" tête brûlée ") et de dal kiliç ("  épée nue ") avaient de l’argent supplémentaire ainsi que des médailles. Au milieu du XVè siècle, les simples janissaires recevait une quantité d’argent relativement petite mais on leur donnait aussi du tissu bleu en quantité suffisante pour une paire de culottes, une quantité de lin plus grande, un nouveau manteau de laine, une nouvelle chemise et assez d’argent pour acheter des arcs, des flèches et des cols propres. Néanmoins on accordait à l’oçak janissaire dix pour cent des dépenses militaires totales qui atteignaient quinze pour cent du revenu global de l’Empire sous le règne de Mehmet le Conquérant.

D’une certaine manière, les janissaires étaient préservés du monde extérieur. Les casernes consistaient en des pièces ou oda pour chaque unité orta, celles d’élites étaient situées à l’intérieur même du palais Topkapi. Les casernes les plus ordinaires étaient de grandes habitations qui comptaient des cuisines, un arsenal et des dortoirs ; les portes étaient décorées de l’emblème de l’orta. Les deux casernes principales d’Istanbul, l’Eski Oda (l’ancienne) et le Yeni Oda (la nouvelle), étaient construites en pierre dans les années 1460-1470 - des habitations imposantes décorées avec des dalles colorées, des barreaux aux fenêtres en marbre des portes dorées et des fontaines dans les cours. Chacune d’entre elles possédait un groupe de boutiques civiles tout autour. Dans ces lieux, un janissaire pouvait mener une vie quasiment monacale, puisqu’on ne lui permettait de se marier qu’une fois qu’il avait atteint le rang de pensionné ou otturak - en fin de compte jusqu’à ce que les lois furent assouplies à la fin du XVIè siècle.

1- Bayraktar subayi, porteur d'étandard de la 39 ème orta, XVI ème siècle.
2- Beshinci Karakullukutchu, sous officier, XVIII ème siècle. A cette époque la plupart des janissaires avaient abandonné leur couvre chef caractéristique.
3- Aga Serdengecti, commandant une unité d'assaut, XVIII ème siècle.

D’une manière générale, les simples soldats ottomans étaient plus résistants que leurs adversaires occidentaux, un fait relevé par Bertrandon de la Broquière. Comme il disait : " Ils étaient assidus et se levaient tôt le matin. Ils étaient frugaux lorsqu’ils étaient sur la route et vivaient avec seulement de la petite nourriture, un petit pain mal cuit et de la viande crue, séchée un peu au soleil, du lait caillé ou préparé autrement, du fromage ou du miel ou du raisins ou des fruits ou de l’herbe, ou une poignée de farine à partir de laquelle il préparaient du porridge pour six ou huit hommes par jour ".

L’armée ottomane insistait aussi beaucoup sur le courage personnel, et il y avait une forte compétition pour avoir des " badges de valeur " comme des crêtes çelenk et des plumes de duvet. ; le çelenk était particulièrement difficile à gagner étant donné qu’il ne récompensait qu’une bravoure extrême vis à vis d’un ennemi supérieur. Un soldat mort sur le champ de bataille était un sahid ou " martyre ". Les personnes à sa charge, comme ceux d’un vétéran, étaient connus sous de le nom de fodlaharan ou " mangeurs de pain " et étaient entretenus par un département spécial du gouvernement via l’homme de l’orta, à qui on donnait une ration hebdomadaire, par le travail pour les fils, par les maris pour les filles. Les vétérans invalides avaient des sinécures et restaient des membres honorables de leur orta.

A travers leur histoire, l’oçak janissaire était populaire auprès de couches les plus pauvres de la société, peut-être à cause de leurs attitudes socialistes pour la plupart, qui était le résultat, en fait, d’une profonde influence de la secte derviche bektasi. La religion tenait une place centrale dans la motivation et le moral janissaires, la raison toute entière de l’existence de l’oçak résidait dans l’expansion de la puissance islamique. Mais les Janissaires étaient des musulmans très orthodoxes, et pour avoir une meilleure idée de leurs croyances, il est nécessaire de comprendre le mouvement bektasi.

Les doctrines bektasi comportent des aspects de l’ancien paganisme turc, du bouddhisme, un élément fort de l’Islam chi’ite - comprenant une dévotion pour le premier calife Ali, tout comme le kurde Yasidi (appelé par erreur " l’adorateur du diable ") et des influences chrétiennes. La plus récente inclut une " trinité " de Dieu, du prophète Mahomet et du calife Ali, une croyance dans la confession et absolutions des péchés, et une cérémonie d’initiation qui entraînait la distribution du pain, du vin et du fromage comme pour certains chrétiens de l’Est. Dans de nombreux bektasi tekkes ou couvents, les femmes participaient aux cérémonies sans porter le voile. Même si le mouvement bektasi se proclamait comme faisant partie de l’Islam sunnite, il n’était certainement pas accepté comme tel auprès de certains milieux dirigeants ottomans. La principale différence entre les bektasis et les musulmans sunnites orthodoxes était une croyance bektasi qui, dans une analyse finale, déclarait toutes les religions valables. Des prêcheurs derviches soutenaient que les chrétiens et les juifs n’étaient pas vraiment " infidèles " alors qu’une minorité d’entre eux avaient même des fidèles chrétiens.

De telles opinions attiraient les recrues janissaires, pour lesquels la conversion à l’Islam était le fruit, si ce n’est de la force, d’une pression morale pour le moins, et qui, portaient encore et quelquefois des extraits grecs et arabes du chant chrétien comme des charmes heureux. Cela rendait aussi les bektasis populaires auprès des chrétiens des Balkans, qui fournissaient principalement les rangs de l’infanterie auxiliaire de l’Empire ottoman. (Leurs tekkes ou couvents étaient particulièrement nombreux dans certains lieux comme en Albanie et en Croatie, où la conversion à l’Islam était très répandue et qui devaient fournir la meilleure infanterie non-janissaire de l’Empire aux XVIIè et XVIIIè siècles.) Les bektasis se battaient aux côtés des janissaires en tant que volontaires. Leur position vis à vis de la guerre était résumé en un verset inscrit sur la lame d’une hache de la fin du XVè siècle appartenant à un certain Sayyid Ali de Jérusalem : ainsi huit bektasis vivaient dans les principales casernes des janissaires. Ils priaient pour la victoire et marchaient devant le yeniçeri agasi pour la parade, leur chef psalmodiant " Kerim Allah " (Dieu est généreux) à quiconque les autres répondaient " Hu " (Il existe). Un chef ou dede de la secte bektasi nouvellement choisi était couronné avec un chapeau particulier par le yeniçeri agasi et le yeniçeri agasi, à son tour, se levait à chaque fois que le nom de Hacci Bektas, le père spirituel de la secte, était mentionné. L’importance du code bektasi se reflétait, par exemple, dans l’acte de décharge de Hüseyin, un " usta " ou spécialiste du 45ème bölük de la 38ème oda de la 12ème orta, datant de 1822 : " Nous sommes les croyants de l’ancien. Nous avons confessé l’Unité de la Réalité. Nous avons un prophète, Ahmeti Muhtar Cenap. Depuis le temps des Héros, nous sommes ceux qui sont enivrés. Nous sommes les papillons de nuit de la Flamme Divine. Nous sommes une compagnie de derviches errant de par le monde. On ne peut nous compter sur les doigts, la défaite ne peut pas nous détruire… "


LES AUTRES FORCES D’INFANTERIE

 

Les premières formations d’infanterie ottomane mais aussi celles parmi celles qui eurent une brève existence étaient les yaya et les piyade du début du XIVè siècle. Les premiers étaient des Turcs à qui l’on donnait des terres à leur retour du service militaire ou après avoir servi dans les fonctions de défense locales en Roumélie (dans les Balkans), les seconds étaient comparables à des clérouques (soldats fermiers) en Anatolie, même s’il y avait parmi eux des nomades. Les yaya étaient commandés par les ceribasi ou " meneurs de soldats " , sous l’autorité des gouverneurs provinciaux ou yürük begs. Ils étaient organisés en unités oçaks rudimentaires de 30 hommes chacune, cinq d’entre eux faisaient leur service en rotation tandis que les autres les aidaient financièrement. L’idée que ces yaya étaient groupés en unités de dix est vraisemblablement un mythe.

Auxiliaires ottomans

Les azaps ou " licenciés " étaient une formation qui eut plus de succès et devint un concurrent acharné de l’élite de l’oçak janissaire. Un Azap était un volontaire, recruté à l’origine parmi les Turcs anatoliens, qui ne recevait une solde que pendant la campagne et qui pouvait partir quel que soit le moment désiré. Un grand nombre d’azaps servaient dans la marine dans les différents beyliks turcs au XIVè siècle. Ils étaient armés de masses, d’arcs (tirant souvent des fléchettes courtes zemberek à l’aide de guide-flèches) et plus occasionnellement d’arbalètes çagra ; et ils adoptèrent rapidement des fusils tüfek. Selon le chroniqueur byzantin Dukas, la première garnison de Gallipoli en 1421-1422 consistait en " gasmouli légèrement armés ", ce qui indiquaient que les soldats étaient d’origine métisse de Grèce et d’Europe occidentale. Les rapports ottomans se référaient toujours à deux unités de musulmans parlant grec sur Gallipoli en 1474, probablement des azaps plutôt que des janissaires. L’une était composée de rameurs, l’autre d’archers zenberekciyan qui défendaient le château. Les quatre autres unités, vraisemblablement turques, de Gallipoli comportaient une unité d’azaps navals.

Sur terre, les azaps se battaient comme archers mais ils étaient essentiellement employés comme gardes ou factionnaires. Au XVIè siècle ils déclinèrent et furent de simples porteurs de munitions, des pionniers et des sapeurs et furent absorbés par les cebeci janissaires comme porteurs. Cependant, les azaps se plurent ensuite dans leur nouvelle vie. A partir de la fin du XVIè siècle, tous les hommes musulmans des régions frontalières étaient susceptibles de se faire engagés comme azaps, armés de fusils à mèches et de sabres, un homme sur 20 ou 30 foyers étant pris en charge financièrement par les autres. Ils étaient ensuite répartis sur des kale azapi (" forteresse d’azaps ") ou deniz azapi (" des azaps navals ") suivant le lieu où ils habitaient.

Sur terre, les azaps se battaient comme archers mais ils étaient essentiellement employés comme gardes ou factionnaires. Au XVIè siècle ils déclinèrent et furent de simples porteurs de munitions, des pionniers et des sapeurs et furent absorbés par les cebeci janissaires comme porteurs. Cependant, les azaps se plurent ensuite dans leur nouvelle vie. A partir de la fin du XVIè siècle, tous les hommes musulmans des régions frontalières étaient susceptibles de se faire engagés comme azaps, armés de fusils à mèches et de sabres, un homme sur 20 ou 30 foyers étant pris en charge financièrement par les autres. Ils étaient ensuite répartis sur des kale azapi (" forteresse d’azaps ") ou deniz azapi (" des azaps navals ") suivant le lieu où ils habitaient.

1- Tirailleurs bosniaque. Les frontières européenne de l'Empire Ottoman étaient en permanance gardées par les villageois musulmans des balkans armée de longue arme à feu.
2- Sipahi mamelouk d'Egypte.
3- Dervish bektashi. Ces religieux galvanisés les troupes ottomanes et plus particulièrement les janissaires auxquels ils étaient très atachés.

L’histoire des voynuqs est encore plus variée. Ils étaient essentiellement recrutés chez les vassaux chrétiens des Balkans de l’Empire ottoman, suivant un système datant d’avant l’invasion turque, même s’il semble concerner les musulmans de la première heure. La plupart d’entre eux était de la cavalerie lourde, mais il y avait aussi des fantassins. Leurs rangs étaient composés largement de serbes et de bulgares slaves, ainsi que d’hommes parlant valach ou roumain. Comme de nombreux auxiliaires ottomans, un voynuq était soutenu par d’autres foyers connus comme gönder, un terme dérivant probablement du mot grec kontarion qui veut dire lance. Les voynuqs avaient leurs propres officiers çeribasi placés sous le commandement général du voynuq beyi, et ils étaient accompagnés des servants yamaks ou des subordonnés. Même si les voynuks n’avaient pas d’oçak ni de structure de corps, ils disposaient d’une réserve d’inscrits qui complétait leur effectif. Au XVè siècle des voynuqs remplissaient des tâches supplémentaires comme s’occuper des troupeaux de chevaux de cavalerie en Bulgarie. Les dogancis (" fauconniers ") étaient semblables à ces voynuqs et élevaient des faucons pour la cour impériale. Dans un autre lieu, les nomades chrétiens valachs jouissaient de privilèges spéciaux pour avoir servi l’Empire ottoman comme voynuqs de frontière, guides, garde ou pour avoir mené des raids. La principauté autonome roumaine de Moldavie approvisionnait aussi les voynuks durant le XVIè siècle.

Le rôle de l’infanterie des principautés roumaines éclaire de manière intéressante un aspect peu connu de l’organisation militaire ottomane. Parce que la Moldavie, la Valachie et la Transylvanie préservaient leur autonomie depuis bien longtemps, leur héritage militaire d’avant l’invasion ottomane continua de se développer. Dans ces trois parties qui forment maintenant la Roumanie, des gouverneurs locaux levèrent, entraînèrent et équipèrent une infanterie compétente alors qu’une déferlante ottomane se préparait. Cette infanterie comptait dans ses rangs des mercenaires italiens professionnels afin de donner de la vitalité aux milices urbaines assoupies par les garnisons royales. 

Infanterie ottomane

1- Lévantin.Fin XVI ème siècle.
2- Sekbanbashi, officier du corps des Sekban.
3- Azap, XVI et XVII ème siècle. Certains manuscrits suggèrent des caftans verts, mais il est fortement probable qu'il y ait eu de nombreuses variations de couleurs.

Ils utilisaient les dernières armes de l’infanterie médiévale, parmi lesquelles il y avait un ensemble d’objets crochus employé contre la cavalerie, un moyen rapidement adopté par les janissaires. Dans le même temps, les archers armés d’arcs composites de style asiatique sont remplacés progressivement par des mousquetaires habiles dans tout ce qui est guérilla. En fait la Valachie et la Moldavie continuèrent de recruter une infanterie professionnelle armée d’arquebuses parmi les Bulgares chrétiens au sud, parmi les Serbes à l’ouest, parmi les Polonais et les Cosaques au nord. L’influence militaire des Ottomans se ressentait aussi dans les milices d’infanterie dorubanti qui s’appuyait sur les derbentçi turcs ou " gardes de frontière ".

 

Principales troupes ottomanes au XV ème siècle

L’Empire ottoman hérita d’autres formations militaires intéressantes du sud des Balkans ; par exemple les mercenaires catalans ex-byzantins ou leurs descendants ont été enregistrés dans l’activité militaire ottomane dans les années 1380. Des arbalétriers européens, mercenaires ou des vassaux, et l’infanterie génoise armée de haches issue de divers avant-postes coloniaux faisaient partie de ceux qui furent impliqués dans la guerre civile ottomane de 1421-1422. Des juifs et des musulmans se joignirent à l’Empire et firent échouer une attaque italienne menée sur l’île de Chios en 1599, et à partir de là, eux et seulement eux au contraire des chrétiens grecs locaux furent admis dans la citadelle de l’île. Plus loin au nord, de nombreux " hérétiques " bogomiles de Bosnie aidèrent les ottomans dans les invasions menées contre leurs oppresseurs chrétiens.

Dans d’autres lieux, les Ottomans employaient les forces locales déjà existantes comme troupes de garnison, évitant ainsi d’engager leurs propres soldats. Par exemple les Martolos grecs étaient à l’origine des irréguliers byzantins. Au début du XVè siècle les Ottomans les reconnurent comme nizam ou " vrais soldats " et les payaient pour surveiller les bandits de la montagne grecque Klepht. Pendant le XVIè siècle les Martolos formaient une partie significative des garnisons de Serbie, de Bosnie, d’Herzégovine et même de Hongrie. Au XVIIIè siècle ils avaient des mousquets, des pistolets, des épées et des dagues et étaient dirigés par les kapitanos héréditaires. On accorda aux personnalités religieuses grecques d’un certain âge le droit d’avoir leurs propres kapoi ou serviteurs armés. Les müsellems étaient initialement une cavalerie féodale et même s’il furent rétrogradés en milices d’infanterie inefficaces, ils conservèrent une structure de corps du type oçak. Les gönüllüyan étaient une milice de volontaire plus tardive composée de cavaliers et de fantassins levés à la fois parmi les musulmans et les chrétiens, payés avec les taxes locales et employés pour mettre en garnisons les châteaux du coin.

 

1- Voynuk, auxiliaire valaque, vers 1500.
2- Archer janissaire de la garde du sultan (chausures jaunes), XV ème siècle.
3- Marin magrebin du début du XVI ème siècle, équipé de l'arbalète caractéristiques de la marine maure.

Pendant des années le gouvernement ottoman tenta d’empêcher la raya, un groupe non militaire de la population, d’acquérir des armes à feu. Même les auxiliaires derbentçi reconnus (officiellement) n’avaient pas l’autorisation d’avoir des fusils, jusqu’à ce qu’une terreur grandissante inspirée par les bandits armés rende ceci indispensable. Les derbentçi ottomans organisés firent vraiment leur apparition au milieu du XVè siècle et comportaient initialement aussi bien des chrétiens martolos que des nomades turcs yörük, des hommes des tribus turcomanes d’Anatolie et des chrétiens voynuqs des Balkans. Ils s’organisaient en unités de 25 à 30 hommes locaux qui mettaient en place des garnisons sur des forts tout petits dans les endroits stratégiques ou vulnérables, et ce système dut certainement se répandre largement jusqu’à ce que l’autorité du gouvernement centrale fut sur le déclin. On trouvait même des derbentçi dans le Khanate tartare autonome de la Crimée, au nord de la Mer Noire. Les Tartares de Crimée présentaient aussi une petite force d’infanterie armée de mousquets. Certains étaient des hommes de tribu trop pauvres pour posséder un cheval ; d’autres formaient une élite de 20 compagnies de cavalerie montée ou sebkans, recrutées parmi les villageois de la péninsule criméenne.

Le conservatisme grandissant de la pensée militaire ottomane garantissait le fait que, lorsqu’une nouvelle force d’infanterie était levée, on lui donnât un nom traditionnel. Comme conséquence, l’infanterie sekban de la fin du XVIè siècle jusqu’au XVIIIè siècle n’avait pas de connexion réelle avec l’ancienne division sekban de l’oçak janissaire. Les nouveaux sekbans étaient une réponse à l’insuffisance aiguë de l’armée ottomane de troupes de mousquetaires face à leurs ennemies toujours plus forts. Les populations raya musulmanes et supposées non militaires de Dalmatie, d’Albanie, de Bosnie et d’Anatolie étaient alors recrutées en nombre croissant, nombre d’entre elles était de l’infanterie montée. Au début du XVIIè siècle, les nouveaux sekbans s’organisaient, sur une base régulière, en unités bölüks de 50 à 100 hommes, payées pour la plupart comme armées privées par les gouverneurs des provinces. Chaque unité avait à sa tête un bölük basi, placé sous le commandement général d’un bas bölük basi, de tels officiers étaient choisis au début parmi l’oçak des janissaires. Théoriquement ils pouvaient être débandés quand leur bölüm ou commission retraitait, mais en réalité ils étaient rarement placés sous le contrôle du gouvernement central. Par la suite, ils devinrent l’infanterie la plus efficace dans l’Empire, surpassant les Janissaires décadents. D’autres unités semblables étaient connues comme sarica ou " guêpes ", et tous étaient susceptibles d’être d’excellents tireurs d’élite, peut-être parce qu’ils étaient des chasseurs ou des bandits avant de devenir des soldats. Comme les sekbans et les sarica, les forces levent ressuscitées de la fin du XVIè siècle étaient des musulmans armés avec des mousquets, des épées et plus tard de pistolets. Ils étaient soi-disant recrutés parmi les bandits en Anatolie semblent n’avoir aucun lien avec les premières forces levent de la marine du XIVè siècle. Il y avait une autre force nouvelle d’infanterie montée, les tüfekçis, qui apparurent au XVIè siècle et qui comptèrent parmi les troupes les plus efficaces de l’armée ottomane aux XVIIè et XVIIIè siècles. Néanmoins, c’était un corps régulier, avec comme uniformes des manteaux courts rouges et des grands chapeaux rouges.

Auxiliaires et gardes ottomans

1- Tüfektchi, milieu XVII ème siècle. Tirailleurs ottoman.
2- Peyk, fin XVII ème siècle. "Estafette" ou courrier du sultan, chargé de porter les ordre à ses subalternes.
3- Kapukulu, début XVII ème siècle. Cavalier d'élite de la garde ottomane.

Des incursions brutales menées par les armées autrichiennes catholiques montraient que, dans bien des endroits des Balkans, les chrétiens orthodoxes apportaient encore une aide militaire aux Ottomans assiégés. Une résistance véhémente était même créditée aux musulmans parlant le slave, de Bosnie, où différentes sortes d’infanterie locale comme le panduk ou " tireurs d’élite ", et l’eflak ou " mousquetaires " firent leur apparition. En Syrie et en Irak un appareil extraordinaire de formations irrégulières et de mercenaires apparut aux XVIIè et XVIIIè siècles. A Damas, elles comportaient les levent, une infanterie montée qui était des turcs au début mais qui devint par la suite des kurdes, des sekbans - des Turcs de l’Anatolie orientale, Maghâriba -, des arabes algériens qui étaient généralement employés pour défendre les caravanes de pèlerins se dirigeant vers la Mecque, et des tüfekçi - des kurdes qui formait une petite élite de bons tireurs. Chacune d’entre elles avait une organisation, une fidélité au corps, un commandement, des casernes qui lui étaient propre et des habits caractéristiques. En plus de quoi, il y avait les ashir - des auxiliaires syriens commandés par des chefs locaux ou de tribu, qui incluaient des milices urbaines issues de tous les groupes religieux. Toutefois le terme arab n’était utilisé que pour les auxiliaires bédouins qui jouaient un rôle militaire important à l’est du Jourdain, de l’Oronte et du Litani.

La situation en Egypte était généralement plus calme, même si la rivalité entre différentes unités dégnérait souvent en émeutes. Il y avait sept corps dans la garnison du Caire, à laquelle il faut ajouter des formations irrégulières variées qui, d’après les écrits arabes, étaient connues comme : les Janissaires, les azaps, le sarrâj (sarica), le yuldâsh (issu des yoldas ou soldats janissaires), les irréguliers maghribi, le jamâkiya (du yamak, de servants de janissaires), le tufenkiya, le jarâkisa (issu du yürük, des hommes des tribus turques), le shâwûshiya (issu du cavus, des sergents janissaires), le mutafarriqa (issu du müteferrika, les gardes du palais ottoman), le gönüllü ou des " volontaires " qui étaient encore assimilables à des turcs. En période de tension, les unités plus petites s’alliaient de préférence avec les azaps contre les janissaires dominateurs. En Afrique du Nord les Janissaires, bien qu’ils formassent un corps oçak séparé, préservaient leur identité turque pendant plusieurs siècles. Leurs grands rivaux étaient les tâ’ifat al ru’sâ ou " des milices de capitaines corsaires " qui étaient à la base des troupes de marine. Ces tâ’ifat al ru’sâ étaient composés de turcs mais la majorité était des arabes et des berbères, des indigènes de l’Afrique du Nord.


LES SERVICES DE SUPPORT ET AUTRES FONCTIONS

 

Saka, les porteurs d'eau de l'armée ottomane Les services de support les plus importants présents dans l’oçak des janissaires étaient les cebecis ou " armuriers " et les saka ou " distributeurs d’eau ", ces derniers accompagnant les soldats au cœur de la bataille et s’occupant des blessés. Les cebecis fabriquaient, réparaient et distribuaient les armes et ils formaient aussi une unité totalement opérationnelle. En 1574, ils étaient une petite élite de 625 hommes qualifiés rattachés à l’artillerie mais plus tard leurs nombres augmentèrent significativement, à tel point que les grandes garnisons comptaient des cebecis.

Le personnel de support non-combattant comptait dans l’oçak 100 yazici ou " scribes ", menés par le yeiçeri kâtibi ou " secrétaire des janissaires " ainsi que l’oda yazici en apparence isolée ou "  es scribes des dortoirs " qui, sous l’autorité du bas yazici (" chef des clercs "), s’occupaient de la paperasserie d’une orta. 

Ensuite il y avait le kârhane, qui correspondait à l’origine à 34 petites compagnies d’artisans habiles placées sous les ordres d’un usta ou " maître ". Le kârhane partait en campagne et jouissait de quelques-unes des prérogatives de l’oçak des janissaires. Cette profession civile ou ces guildes commerçantes augmentèrent rapidement et devinrent connues comme l’ordu esnaf ou ses artisans d’armée. En réalité, une armée ottomane engagée dans une campagne majeure était suivie par des tondeurs pour la laine, des artisans pour fabriquer les épées, confectionner les arcs, des selliers, des marchands de lin, des cordonniers, des barbiers, des maréchaux-ferrants, des fabricants de bougies, des marchands qui vendaient des têtes de mouton cuisinées, des fabricants de talons de chaussures en métal, des pharmaciens, des fabricants de bonnets en peau de chèvre, des fabricants de chaussons, des fabricants de caftans, des marchants de soie, des couturiers pour les pantalons, des bronzeurs, des étameurs et des boulangers, parmi tant d’autres. A la fin du XVIIIè siècle, ils occupaient une place permanente et la plupart se revendiquait janissaires, réclamant une solde complète.

Les troupes de support de l'armée ottomane

1- Porteur d'eau de l'orta Sakasi.
2- Cuisinier de l'armée avec la marmite, symbole des "orta" janissaires.
3- Jeune officier d'une orta du corps des Bostanci.

Méthèri (orchestre) ottomane

Une autre caractéristique particulière de l’armée ottomane était sa mehterhane ou sa fanfare militaire ; l’Empire ottoman fut le premier en Europe à se doter d’une organisation musicale militaire en permanence. Une mehterhane était constituée d’ensembles, chacun normalement doté d’un tambour, de timbales, d’une clarinette, d’une trompette et de cymbales. La fanfare personnelle du Sultan avait neuf de ses ensembles, celle du yeniçeri agasi sept, et chaque régiment ou garnison en avait une plus petite. Une mehterhane se tenait debout suivant une forme de croissant ; seule celui qui s’occupaient des timbales était assis. On jouait des grands kös ou tambours de guerre sur le dos des chameaux, et une mehterhane pouvait être entièrement montée. Les instruments étaient fabriqués et entretenus par 150à 200 spécialistes, la plupart, des grecs et des arméniens, habitaient près du palais de Topkapi. (Les chanteurs çevgani qui sont toujours une attraction touristique à Istanbul ne furent adjoints à la mehterhane qu’à la fin du XVIIIè siècle.) La mehterhane jouait des " airs d’Afrasiyab ", en d’autres termes de la music militaire perse et d’après le voyageur turc pittoresque Evliya Celebi en 1638 : " …cinq cent trompettistes produisirent un son tel que la planète Venus commença à danser et les cieux réverbéraient… Tous ces joueurs de tambour, de timbales et de cymbales défilaient tous ensemble en tapant sur leurs différentes sortes d’instruments dans une rythmique à l’unisson comme l’armée de Chama-Pur (l’adversaire bien connu d’Alexandre le Grand) le faisait. "
1- Joueur de clarinette, caractéristique d'une méhtèri ottomane.
2- Chef d'une section de tambour montés sur dromadaires.
3- Mehterbashi Aga, chef d'une méhtèri.

Les forces d’infanterie ottomanes remplissaient d’autres fonctions que le combat. En hiver les janissaires travaillaient sur les chantiers de construction, le rang moyen des amelimanda avait la responsabilité de l’entretien du système vital des aqueducs d’Istanbul. Avec de telles activités les janissaires étaient, et ce n’est pas surprenant, des soldats du génie efficaces en campagne. Dès le début, l’infanterie plaçait des garnisons dans les villes nouvellement conquises ; les Janissaires prenaient habituellement le pouvoir dans les citadelles pendant que les azap occupaient les bas quartiers de la ville ; Les citadelles et les forteresses devaient par la suite être approvisionnées en nourriture et en munitions, et les janissaires occupants ne devaient pas être soumis par la faim. Néanmoins, les Ottomans faisaient peu de cas des fortifications jusqu’à la seconde partie du XVIè siècle, lorsque les frontières commençaient à être stables.

A partir de là, l’oçak des janissaires fut disséminé à travers l’Empire dans les korocu (garnison) ortas qui, normalement faisaient des tournées d’intendance pendant neuf mois avant de rentrer sur la capitale. Mais, alors que le corps des janissaires augmentait en nombre, la majorité de ses ortas s’installèrent dans les provinces de manière définitive, sous le commandement des gouverneurs locaux. Ils développèrent des intérêts et des fidélités sur un plan local, qui géraient même l’administration locale et, à la longue, ils devenaient même une source d’agitation eux-mêmes. Pendant ce temps on laissait aux auxiliaires volontaires yamak d’une valeur militaire douteuse la responsabilité des garnisons vitales du Bosphore au XVIIIè siècle.

Différentes formes de garnisons provinciales se développèrent au sein de l’Empire. Par exemple les hükûmet sancak ou " provinces héréditaires autonomes " de l’Anatolie orientale étaient gouvernées par des princes de tribu, appuyés par les ortas de janissaires. En Irak et en Syrie les Janissaires devinrent l’élite locale. Les descendants des premières garnisons furent assimilés à la population qui parlait arabe et devinrent les rivaux acharnés des ortas envoyées plus tard pour renforcer le contrôle du gouvernement central. La grande armée ottomane stationnée en Egypte développa de la même manière une forme de patriotisme local mais les ortas égyptiennes restèrent loyales envers l’Empire et menaient des campagnes loin de chez eux, combattant en Italie (1619-1620), au Yémen (1631-1632) et en Arménie (hiver 1616). Même les petits territoires contrôlés par les Ottomans de l’Erythrée, du Yémen et de la côte du golfe persique avaient des petites garnisons, alors que les provinces ottomanes virtuellement indépendantes de l’Afrique du Nord levaient leurs propres oçaks de janissaires.

Veneur du sultan, XVIII ème siècle

Les fonctions d’ordre public remplies par les Janissaires devinrent en définitive plus importantes que leur rôle militaire. Le yeniçeri agasi était aussi le chef de la police de la capitale ; ses propres janissaires et ceux du cebecibasi et du topçubasi patrouillaient dans Istanbul et Galata, et les bostancis faisaient la police dans les banlieues. Si ces unités partaient en campagne, l’acemi oglan orta ou " bataillons d’entraînement " prenaient la relève du maintien de l’ordre.

Une unité de 300 hommes était employée pour protéger une flotte de 80 à 100 bateaux de transport sur les rivières de Morava et de Nisava, basée à Nis. Des janissaires avaient toujours servi sur les bateaux de guerre ottomans, et au début du XVIIè siècle la plupart des galères ottomanes semblaient transporter huit janissaires et six autres soldats, recrutés majoritairement dans les îles égéennes et armés de fusils à mèches, d’arcs et d’un canon léger. Les janissaires qui s’occupaient de la marine étaient triés parmi le rang des " pensionnés " ou otturak plus âgés, plus expérimentés mais moins alertes, tandis que les autres soldats de la marine comportaient des sipahis (prétendument de la " cavalerie féodale "), des kur’aci ou " conscrits " et des ulûfeci ou soldats " salariés ". Loin à l’Ouest, à Alger, l’oçak janissaire virtuellement indépendant fournissait la base politique de corsaires célèbres comme Hayruddin Barbarossa. Ils étaient initialement levés pour participer aux affaires lucratives de la guerre marine ou à la piraterie, comme l’appelaient leurs adversaires européens.


STRATÉGIE ET TACTIQUES

 

L’Etat ottoman a pris son origine dans les montagnes du nord-ouest de l’Anatolie, là où la guerre consistait à faire des raids dans les riches vallées byzantines et dans la plaine côtière ou à faire des blocus dans les villes où on parlait grec tant que celles-ci ne se capitulaient pas. Même si la cavalerie des tribus turques jouait un grand rôle lors de ces campagnes, l’infanterie restait nécessaire pour prendre les places fortifiées. Les premières campagnes ottomanes dans la Thrace, du côté européen des Dardanelles, requirent plus d’infanterie et la phase suivante d’expansion, qui comprenait le contrôle des routes principales et des cols de montagnes, nécessitait aussi des fantassins.

L’Empire ottoman qui connut une phase d’expansion rapide développa un système remarquable de planification, de mobilisation et de mobilité stratégique : les campagnes étaient planifiées à l’avance en octobre et novembre, avec des opérations concrètes qui se situaient normalement aux mois d’août et de septembre de l’année suivante. Les chefs militaires consultaient les anciens soldats et les rapports des opérations précédentes. On envoyait des quantités énormes de stock en prévision, avant et pendant la mobilisation. Bien que les Janissaires eussent comme provision des réserves de biscuits secs appelés peksimet, ils mangeaient habituellement du pain frais en campagne, tout comme du pilav, des oignons, et du mouton frais et de la viande séchée.

L'armée ottomane en marche vers la bataille de Mohac

Les ordres de mobilisation étaient envoyés aux forces provinciales en décembre et il devint traditionnel pour une armée marchant sur l’Europe de se rassembler près de la mosquée Davut Pasa à Istanbul et pour ceux qui participaient à une campagne en Asie de se réunir à Usküdar du côté est du Bosphore. D’autres troupes, de Roumélie, s’assemblaient à Salonique, Plovdiv, Sofia, Nis et Eszek en Croatie, Budapest ou Timisoara pendant que les Tatares alliés se rassemblaient à Perekop, à l’entrée de la péninsule de la Crimée. Les bases principales de campagne changèrent lorsque l’Empire se développa mais les plus importants étaient : Skopje pour le sud des Balkans ; Salonique pour l’Albanie et la Grèce ; Belgrade pour la Hongrie ; Kiliya, Izmail, Braila, Silistra et Ruse pour la Valachie et la Transylvanie ; Bendery, Iasi, Kaminiec et Khotine pour la Moldavie ; Belgorod pour le secteur du Dniestr ; Otchakow et Kilbouroun pour les secteurs autour du Dniepr et de la Bugue ; Erzeroum pour la Perse ; et Diyarbakir, Van et Mossoul pour l’Irak.

Des préparations minutieuses étaient faites au début de chaque campagne, et ou bien la bannière avec les six queues de cheval du Sultan ou la bannière à trois queues de cheval du Vizir était érigée dans la première cour du palais Topkapi avant d’être envoyée à l’avant pour prévenir de l’approche de l’armée. Les routes et les ponts étaient remis en état suivant une ligne de marche, avec des ponts flottants préfabriqués traversant des grandes rivières. Des cairns de pierres étaient empilés pour indiquer le chemin s’il n’y avait pas de routes. 

Le pont militaire le plus célèbre était une structure fortifiée en bois, longue de 6000 yards traversant les marécages et la rivière Drava près d’Osijek. Au XVIIIè siècle, les principales routes avaient une bande étroite pavée incurvée au centre pour les piétons et ceux qui circulaient dans les charrettes, avec des bandes plus larges de terre battue ou déblayée de chaque côté pour les cavaliers - comme les anciennes routes romaines. Les Turcs faisaient aussi un grand usage de chariots à quatre roues, particulièrement dans les Balkans et les steppes au nord de la Mer Noire.

Une armée ottomane marchait à l’aube et montait le camp au clair de lune. En temps normal, un écran d’éclaireurs de cavalerie légère et de " raiders " marchait à l’avant, était suivi d’une avant-garde de cavalerie d’élite puis par la principale force d’infanterie et les techniciens de l’armée. Les flancs devaient être couverts par le gros de la cavalerie et une arrière-garde devait protéger les bagages. Chaque orta de janissaires avait une grande tente avec l’emblème de l’unité brodée dessus qui lui servait de casernement ou d’oda, même si chaque groupe de combat semblait posséder leur propre tente pour dormir. Elles furent aussi employées pendant les rares campagnes d’hiver, comme en 1644, quand les hommes étaient incapables, dans un premier temps, de dresser leurs tentes dans la terre gelée. Les janissaires vétérans leur montraient comment attacher les cordes de la tente à des sacs à provision disposés en cercle puis dégeler un petit bout de terre avec de l’eau bouillante pour le poteau de la tente. Malheureusement, les poteaux étaient gelés dans la terre au matin et devaient être brisés ! Camp turc

Au camp, l’office commun se tenait une heure avant le lever du soleil, lorsque les orta imams récitaient les prières. Le signal était ensuite donné par un coup de canon et les troupes devaient invoquer la bonne fortune et la santé pour leur sultan, leur commandant et leurs officiers. Bertrand de la Broquière, en décrivant une force turque quittant le camp pour rencontrer un ennemi au début du XVè siècle, disait : " lorsqu’ils sont prêts et qu’ils savent que les chrétiens arrivent et où ils sont …, ils partent précipitamment et d’une manière telle qu’une centaine de chrétiens armés feraient plus de bruit en quittant leur camp que dix milles turcs. Tout ce qu’ils font, c’est battre un grand tambour. Ceux qui sont censés partir se placent devant et tout le reste se déploie en ligne, sans briser l’ordre ". Au cours du XVè siècle, les forces ottomanes étaient aussi meilleures dans le fait de se rassembler après un revers alors que leurs adversaires chrétiens, qui, une fois mis en déroute, avaient tendance à rentrer chez eux.

Les tactiques ottomanes évoluèrent au cours des années mais conserver certains traits particuliers. La première bataille majeure des Janissaires fut menée contre les turcs karamaniens à Konya en 1389. A cette occasion, la cavalerie tint le centre avec succès, soutenue par la cavalerie sur les ailes et sur l’arrière. A Ankara en 1402, l’infanterie adopta une position défensive, en tenant plusieurs collines, et bien que la bataille fut perdue en fin de compte, les archers de l’infanterie azap et les janissaires s’étaient prouvés à eux-mêmes qu’ils étaient capables de repousser la redoutable cavalerie de Tamerlan aussi longtemps qu’ils étaient supportés par la cavalerie sur leurs flancs. A Varna en 1444, les Janissaires avaient établi leur défense sur un " wagenburg " ou tabur de grandes charrettes. Il est bon de noter que, dans ces circonstances, le faible nombre d’hommes ayant une arme à feu était placé sur l’aile gauche, traditionnellement la plus défensive. D’après l’observateur italien Paolo Giovio, au début du XVIè siècle, la cavalerie légère ottomane essayait d’attirer un ennemi sur l’infanterie azap, et à partir de là ils piégeaient les adversaires ensemble en les plaçant à portée de l’artillerie et des janissaires, tandis que la cavalerie turque les attaquaient sur les flancs.

Le rôle principalement offensif de la tactique ottomane était toujours confié à la cavalerie, qui s’efforçait de briser la ligne de l’ennemi. Les Janissaires devaient, par la suite, tirer avec leurs fusils et menaient une attaque en masse, avec des épées et d’autres armes - habituellement un seul assaut en coin. Avec le groupe mehterhane qui les soutenait sur l’arrière, les charges des janissaires en masse ne pouvaient être stoppées la plupart du temps, leur efficacité première était due au fait qu’une infanterie disciplinée faisait généralement défaut à leurs ennemis. D’un autre côté, les Janissaires ne pratiquaient pas le tir en volées massives, s’appuyant plutôt sur les capacités individuelles et l’adresse au tir. Les unités d’assaut d’élite étaient connue comme étant des serdengeçti ou " têtes brûlées " et comptaient près de 100 volontaires.

Le siège de Vienne par les ottomans

Le tabur ou " wagenburg " avait un rôle dans l’histoire ottomane comparable au cercle des chariots couverts dans le Far West américain. Il était probablement emprunté aux Hongrois pendant la conquête des Balkans par les Ottomans. A la fin du XVè siècle, le tabur turc consistait en des chariots disposés en " forteresses roulantes " tirés par deux mules et transportant des hommes équipés de fusils à mèches aussi bien que de canons légers. Les chariots portaient des boîtes de munitions (placées sous le chariot) et pouvaient être attachés l’un à l’autre pour former un mur. A la fin du XVIIè siècle, le tabur ottoman devint de plus en plus vulnérable face à l’artillerie de campagne européenne.

La compétence ottomane dans la pratique des sièges date du tout début et deux sièges célèbres eurent lieu pendant la grande époque de l’histoire militaire ottomane : la prise de Constantinople/Istanbul en 1453 et l’offensive manquée sur Vienne en 1683. Par le passé, les ennemis présentaient l’infanterie ottomane comme disciplinée et solide, qui ne se précipitait dans un assaut désordonné mais qui utilisaient des échelles pour grimper pendant que les archers et les tireurs forçaient les défenseurs à rester à couvert.

L’attaque manquée sur Vienne fut le point culminant et, d’une certaine manière, la perfection des techniques de siège ottomanes traditionnelles. Leurs tranchées étaient plus profondes et plus étendues que celles que l’on voyait dans l’Europe occidentale, avec des batteries de mousquets aux extrémités de chaque sape, ainsi que des points de rassemblement à partir desquels les attaques étaient lancées. Des assauts sur les défenses étaient menés de jour et de nuit, éclairés par des phares et des fusées éclairantes et les petites unités serdengeçti composées de 30 à 100 volontaires étaient envoyées sur des objectifs limités. Les défenseurs avaient remarqué que les unités utilisées pour un assaut de ce type étaient divisées à des groupes plus petits formés de cinq janissaires : un épéiste, un grenadier, un archer et peut-être deux mousquetaires



Fleche jaune.gif (160 octets)Retour "Turqueries"